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— Vous voulez savoir, lui dis-je d’un ton ferme, si votre sœur me plaît ? Oui, elle me plaît…

Gagine me regarda.

— Cependant, reprit-il en hésitant, vous ne consentiriez pas à l’épouser ?

— Comment voulez-vous que je réponde à une pareille question ? Reconnaissez-le vous-même, puis-je dès à présent ?…

— Je le sais, je le sais, dit vivement Gagine. Je n’ai point le droit de vous demander une réponse, et ma question est fort inconvenante ; mais comment faire ? Il est imprudent de jouer avec le feu ; vous ne connaissez pas Anouchka ; elle peut fort bien tomber malade, s’enfuir, vous donner des rendez-vous.. Une autre saurait cacher ses sentimens et attendre ; mais elle, non. C’est la première fois, voilà le mal ! Si vous saviez comme elle sanglotait aujourd’hui à mes pieds, vous comprendriez mes craintes.

Je me mis à réfléchir. Les paroles de Gagine « vous donner des rendez-vous » m’avaient piqué au cœur. Il me paraissait honteux de ne pas répondre par un aveu loyal à son honnête franchise.

— Oui, lui dis-je enfin, vous avez raison. Il y a une heure de cela, j’ai reçu de votre sœur une lettre ; la voici.

Gagine prit la lettre, la parcourut rapidement et laissa retomber ses mains sur ses genoux. La surprise qu’exprimaient ses traits était fort plaisante, mais je ne songeais guère à rire en ce moment.

— Vous êtes un homme d’honneur, répéta-t-il ; mais quel parti prendre ? Comment ! elle demande à fuir, et elle vous écrit, et elle se reproche son imprudence ! Quand a-t-elle eu le temps de vous écrire ? Que veut-elle de vous ?

Je le rassurai, et nous nous mîmes à causer tranquillement, autant qu’il était possible en pareille circonstance, sur ce qu’il y avait de mieux à faire. Voici le parti auquel nous nous arrêtâmes enfin : pour prévenir tout malheur, il fut convenu que j’irais au rendez-vous et m’expliquerais loyalement avec Anouchka ; Gagine s’engagea à rester à la maison sans paraître savoir qu’il avait vu la lettre. Il fut décidé en outre que nous nous retrouverions le soir.

— J’ai pleine confiance en vous, me dit Gagine en me serrant la main ; ayez des ménagemens pour elle et pour moi, mais nous n’en partirons pas moins demain, ajouta-t-il en se levant, car vous ne l’épouserez pas.

— Donnez-moi jusqu’à ce soir, lui répondis-je.

— Soit ; mais vous ne vous marierez pas.

Il sortit ; moi je me jetai sur le divan et fermai les yeux. J’avais des vertiges ; trop d’impressions diverses s’étaient pressées à la fois dans ma tête. J’en voulais à Gagine de sa franchise, j’en voulais à Anouchka ; son amour me réjouissait et me troublait. Je ne pouvais