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tout à coup une expression de prudence et de timidité. — Ah ! mon Dieu ! ont-ils l’air de se demander, n’ai-je point dit quelque bêtise ? ne se moque-t-on pas de moi ? — Un instant après, vous les voyez reprendre leur air majestueux. Gagine me plut au premier abord. Il y a des figures que l’on a du plaisir à regarder ; elles vous raniment et vous réchauffent en quelque sorte. Celle de Gagine était du nombre ; elle respirait la bonté, l’amabilité, et ses grands yeux étaient aussi doux que les boucles de sa chevelure. On devinait, sans le voir, seulement au son de sa voix, qu’il avait le sourire sur les lèvres.

La jeune fille qu’il nommait sa sœur m’avait frappé par une beauté d’un cachet particulier : elle avait la figure ronde et le teint un peu brun, le nez petit et effilé, les yeux noirs et limpides, — quelque chose d’enfantin dans la physionomie. Quoiqu’elle fût bien proportionnée, la taille ne paraissait pas avoir acquis tout son développement. Après l’avoir rapidement examinée, il me fut impossible de lui trouver la moindre ressemblance avec son frère.

— Voulez-vous entrer chez nous ? me dit Gagine. Il me semble que nous avons assez regardé ces Allemands. Des Russes auraient déjà, il est vrai, cassé les verres et les chaises ; mais ces braves jeunes gens sont par trop modestes. — Allons, Anouchka, n’est-il pas temps de rentrer ?

La jeune fille répondit à cette question par un mouvement de tête affirmatif.

— Nous demeurons hors de la ville, ajouta Gagine, au milieu des vignes, sur un coteau ; notre maison est petite, mais nous sommes fort bien logés. Venez, notre hôtesse a promis de nous préparer du petit-lait. D’ailleurs le jour commence à baisser, et vous traverserez le Rhin plus sûrement au clair de la lune.

Nous partîmes. Peu d’instans après, nous franchissions la porte voûtée de la ville, qu’entourait une vieille muraille de cailloux qui portait encore quelques créneaux. Nous nous avançâmes dans la campagne, et après avoir longé un mur pendant une centaine de pas, nous nous arrêtâmes devant une petite porte. Gagine l’ouvrit ; il nous fit prendre un chemin escarpé, sur les côtés duquel étaient étages des vignobles. Le soleil venait de se coucher ; un ton pourpre d’une finesse extrême colorait les vignes, les longs échalas qui les soutenaient, la terre desséchée et couverte de fragmens d’ardoises de toute dimension, aussi bien que les murs blancs d’une petite maison dont les fenêtres lumineuses étaient encadrées de traverses noires, et vers laquelle se dirigeait le sentier que nous gravissions.

— Voici notre demeure, s’écria Gagine lorsque nous fûmes arrivés à peu de distance de la maison. J’aperçois notre hôtesse qui apporte