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lui demander ; on se dépouille de ces violentes antipathies, filles d’un autre âge. Tout en restant inférieur au christianisme ; l’islamisme a partout élevé le sens moral et l’intelligence des nations qu’il a arrachées au fétichisme. On ne peut le qualifier d’idolâtrie, car l’abolition des idoles fut la mission et la gloire de Mahomet, et le Koran proclame à chaque page le Dieu unique, tout-puissant, miséricordieux, bon aux justes, terrible aux méchans ; le Dieu de la Bible et de l’Évangile. L’islam réforme les mœurs dans le sens de l’austérité, contrairement au sentiment général. La polygamie, si justement condamnée par notre conscience de chrétiens, marque un progrès, lorsqu’à une promiscuité sans limites, qui est dans les usages de l’Afrique centrale, comme elle fut jadis dans les mœurs de l’Orient, elle oppose des règles qui en modèrent le scandale. L’intempérance, qui abrutit et tue les peuplades noires du Soudan, trouve dans l’islam son frein le plus efficace. Tandis que le commerce européen tente leurs appétits les plus grossiers par ses vins frelatés et ses eaux-de-vie empoisonnées, tandis que les missionnaires chrétiens, tout en flétrissant le vice, ne se reconnaissent pas le droit d’en prévenir les causes ni le pouvoir d’en arrêter les effets, le marabout musulman interdit toute boisson enivrante, prêche d’exemple, et se fait imiter ; sinon par tous, du moins par la grande majorité des croyans. C’est au Koran principalement qu’est due la cessation en divers lieux de l’anthropophagie et du massacre des prisonniers, ces deux horribles coutumes du monde africain. On lui doit aussi la propagation de beaucoup de grandes vérités morales. Chez les fidèles, la prière, l’aumône, l’hospitalité, le respect du serment, sont pratiqués ; certains droits sont reconnus aux femmes ; l’esclave est familièrement admis au sein de la famille. La politique est soumise, dans la guerre comme dans la paix, à des règles que ne désavoue pas la civilisation. L’éducation intellectuelle accompagne l’éducation morale, car la lecture et l’écriture sont enseignées aux noirs par les marabouts dans de nombreuses écoles. Le Koran initie en outre ses adeptes à l’histoire du genre humain : les grandes traditions de la vie primitive d’après les annales du peuple juif, même les douces figures de Jésus et de Marie, revivent dans le livre saint de l’islam, et pénètrent, entourées de respect, dans des intelligences qui les auraient toujours ignorées. La simplicité de la religion de Mahomet la rapproche du judaïsme, et la fraternité d’Isaac et d’Ismaël se retrouve encore, après quarante siècles, dans la foi comme dans le sang de leur postérité, malgré la haine qui sépare les deux familles issues d’Abraham. Quant au fatalisme musulman, fréquemment signalé comme une barrière à tous les progrès, il suffit de penser aux empires de Damas, de Bagdad et de Cordoue ; pour le juger avec moins de rigueur. L’histoire bien récente d’Abd-el-Kader montre