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ils avaient perdu la partie, et, se rapprochant l’un de l’autre à l’instant même, ils échangèrent, en un seul mot de leur argot, la formule désespérée du sauve-qui-peut ; mais ils avaient compté sans le major et le lieutenant, qui les guettaient et qui s’emparèrent de l’un, tandis que l’autre prenait la fuite.

— Pour l’amour du ciel ! êtes-vous blessé, Waldo ? dit le major, que Christian aidait à désarmer les bandits.

— Non, non, répondit Christian, qui ne sentait sa blessure qu’à la chaleur du sang qui remplissait sa manche. Avez-vous des cordes ?

— Oui, certes, de quoi les pendre tous, si nous en avions le droit. Nous avions bien compté les faire prisonniers, ces beaux messieurs ! Mais, si vous n’êtes pas trop essoufflé, Christian, donnez donc un son de trompe pour tâcher d’amener ici nos autres amis que nous attendons et cherchons depuis une heure. Tenez, voici l’instrument.

— Mieux vaut décharger vos armes, dit Christian.

— Non pas, il y a eu assez de coups de feu comme cela ; sonnez la trompe, vous dis-je.

Christian fit ce qu’on lui demandait ; mais on ne fut rejoint que par le caporal.

— Voyez-vous, dit le major à Christian, il faut que ceci ait l’air d’une partie de promenade durant laquelle nous nous serions perdus et retrouvés.

— Je ne vous comprends pas.

— Il faut qu’il en soit ainsi, vous dis-je, pendant quelques heures, afin que le baron ne se doute pas trop tôt de l’issue de l’affaire et ne soit pas en mesure de mettre sur pied, contre nous, les autres coquins qu’il a sans doute en réserve. Quant à lui, ajouta-t-il en baissant la voix, son tour viendra, soyez tranquille !

— Son tour est tout venu, répondit Christian, je m’en charge.

— Doucement, doucement, cher ami ! vous n’avez pas mission pour cela. Ce soin me regarde, et je suis bien décidé à sévir, maintenant que nous avons une certitude et des preuves. Seulement nous ne pouvons agir contre un noble et un membre de la diète qu’en vertu d’ordres supérieurs ; nous les obtiendrons, n’en doutez pas. Ce que nous avons à faire pour le moment, c’est que vous m’obéissiez, mon ami, car je vous requiers, au nom des lois et au nom de l’honneur, de me prêter main-forte comme je l’entends et selon les ordres que j’aurai à vous donner.

En ce moment, M. Goefle accourait tête nue, le flambeau d’une main, l’épée de l’autre. Il avait fait le tour par la porte de la chambre à coucher, après avoir décidé, non sans peine, les deux femmes à se tenir enfermées sous la garde de Péterson, car toutes deux mon-