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de nos postes de Bakel et de Sénoudébou, assez forts pour y résister, mais trop faibles pour les conjurer, avaient enfin révélé aux esprits les plus aveuglés jusque-là l’imminence et l’étendue du péril. Encore une campagne pareille, et le drapeau français courait risque de disparaître de tout le haut pays ! Omar, maître par lui-même et ses alliés des sources et du cours du fleuve depuis le Khaarta jusqu’au Cayor, en aurait fermé l’accès à son gré. M. Faidherbe reconnut qu’il fallait s’implanter solidement dans le Khasso au moyen d’un fort qui serait construit, armé, défendu par des soldats d’une fidélité certaine. Avec les hautes eaux de l’été, il remonta le Sénégal, parvint à Médine, choisit l’emplacement, donna ses ordres. Au bout de six semaines, le fort de Médine, à une lieue au-dessous des cataractes, pouvait opposer ses foudres à celles du prophète.

Dans ce poste, l’influence souveraine de la France avait été préparée, vingt ans auparavant, par un homme dont l’histoire personnelle, intimement liée à celle du Haut-Sénégal, semble une page détachée d’un roman. Sous la restauration, l’un des gouverneurs de la colonie envoya un Français nommé Duranton, commis de marine à Saint-Louis, en mission dans le Bambouk, avec un ingénieur chargé d’explorer les mines d’or dont la richesse n’a cessé de retentir, depuis quatre siècles, aux oreilles des habitans. Duranton se sentait né pour les périlleux voyages : muscles herculéens, énergie indomptable, passion de l’inconnu et des aventures, nature fortement trempée à tous égards. Parvenu dans le haut pays et avant d’avoir abordé le Bambouk, il fut mis en rapport avec Aouademba, sultan du Khasso, résidant à Médine. Attiré et dominé par la supériorité du blanc, Aouademba le pria de l’aider à le délivrer de ses ennemis les Bambaras en lui bâtissant un fort à la manière française. Duranton promit, et, à travers bien des agressions et des vicissitudes il tint sa promesse de son mieux. La fille du sultan de Khasso, la belle Sadiaba, devait être, d’après leurs conventions, le prix de l’œuvre terminée. Le roi tint son engagement, et un mariage solennel couronna les vœux du jeune Français, qui sut inspirer à la princesse l’amour le plus tendre, dont la naissance de trois enfans devint le gage.

La guerre civile ne permit pas aux autres délégués du gouverneur de pénétrer dans le Bambouk. L’ingénieur, qui n’était pas retenu au Khasso par le même charme que Duranton, s’en revint à Saint-Louis, tandis que son compagnon resta auprès de son beau-père, l’aidant à rétablir un peu d’ordre dans ses états ; mais la conduite de l’agent français fut mal jugée au siège du gouvernement : on l’accusa de vouloir se rendre indépendant, de se mettre en rapport avec les Anglais, de nous préparer des difficultés. Arrêté en 1837