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gouverner en leur nom dans leurs états des mandataires dévoués à ses volontés.

En 1853, il s’avança vers le Bambouk, sorte de confédération républicaine de race mandingue, encore plongée dans le fétichisme. Il s’empara de Farabana, une des principales villes du Bambouk, jusqu’alors réputée inexpugnable, et où, par un trait curieux de mœurs locales, les esclaves fugitifs de toute l’Afrique occidentale trouvent un asile assuré. En même temps, Al-Agui, élargissant le cercle de son action, envoya des émissaires dans tous les états riverains du Haut-Sénégal, le Khasso, le Bondou, le Guidiaka ou Galam. Se posant enfin en arbitre suprême des destinées de la Sénégambie, il convoqua les chefs de ces divers pays à une assemblée solennelle dans la place de Farabana, où il s’était fortifié. Beaucoup s’y rendirent. Avec les chefs accoururent les foules, plus dociles encore à son éloquence et à ses miracles.

Il touchait presque à nos postes de Sénoudébou et de Bakel. Toutefois, avant d’engager une lutte décisive, il tenta une dernière négociation. Un ancien maçon de Saint-Louis était devenu son ardent prosélyte : il en fit son ambassadeur auprès de M, le gouverneur Protet, qui se trouvait à Saint-Louis au mois d’octobre 1854. Cet homme était chargé de demander pour son maître, comme témoignage de la bienveillance des Français, des fusils, de la poudre, des canons, même un officier ; Al-Agui poussait l’audace jusqu’à réclamer la remise de gens qui de son camp s’étaient réfugiés dans nos postes, nous menaçant de sa vengeance en cas de refus. L’insulte d’une telle démarche fut repoussée comme elle méritait de l’être. Aux yeux de ses troupes, à qui il avait vanté son crédit auprès des Français, c’était un échec ; pour en dissiper le mauvais effet, il dépêcha un de ses lieutenans à Makhana, en amont de Bakel, en une escale où quelques traitans sénégalais faisaient la troque à bord de leurs navires, avec ordre de massacrer les chefs et les habitans mâles, de piller et de brûler le village, d’emmener captifs les femmes et les enfans. La trahison aidant à la violence, ce coup de main réussit. D’autres bandes assaillirent les postes de Bakel et de Sénoudébou, mais elles furent repoussées vaillamment par des garnisons disciplinées, quoique peu nombreuses et affaiblies par les maladies. Sur quelques points, des traitans isolés furent massacrés. La guerre éclatait dès lors avec toutes ses fureurs. Par Makhana, Al-Agui avait pris pied sur les bords mêmes du fleuve, et il se voyait à la fin de 1854 en mesure d’envahir un autre état, le Khasso, que le Sénégal baigne dans toute sa largeur, au-dessus et au-dessous des cataractes de Félou. C’est au pied de ces cataractes, à quarante lieues en amont de Bakel, qu’est bâtie Médine, la capitale du Khasso,