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nombre de serviteurs n’étaient plus retenus que par un engagement de quatorze années. Grâce à l’absence de tout préjugé de couleur, le captif de case, comme l’engagé, était admis avec bonté au sein de la famille. Aussi l’émancipation n’entraîna-t-elle pas de désordre grave ; mais un nouvel élément de concurrence fut introduit dans les affaires de la colonie, et la nécessité de chercher des issues nouvelles à l’esprit d’entreprise devint plus manifeste.

Un privilège survivait encore, celui de certaines escales hors desquelles toute transaction était prohibée. Elles avaient le double tort de soumettre en apparence les traitans français à la souveraineté des chefs maures, et de limiter les opérations dans des cercles trop étroits de temps et de lieux, où nos rivaux étaient les maîtres du marché. Bien que la suppression de ce privilège semblât découler du principe de liberté proclamé en 1848, elle ne fut pas décrétée alors. Vers la fin de 1851 seulement, deux pétitions adressées par le commerce de la colonie au gouvernement de la métropole réclamèrent toutes les réformes essentielles. Elles se résumaient en quelques courtes formules : suppression des escales ; — création de deux établissemens fortifiés sur les bords du fleuve, l’un dans le Oualo, l’autre dans le Fouta ; — concession de terrains autour de ces établissemens pour les commerçans et cultivateurs qui en feraient la demande ; — la liberté pour tous d’acheter sur ces points la gomme et les autres produits pendant toute l’année ; — l’affranchissement du Oualo envahi et dominé par les Maures de la rive droite ; — le maintien de la liberté du commerce de Galam ; — le paiement aux Maures d’une seule coutume fixe par l’intermédiaire du gouvernement ; — l’adjonction de deux remorqueurs à vapeur à la flottille du Sénégal, pour rendre le cours supérieur du fleuve plus accessible aux opérations commerciales. C’était tout un programme de poétique et d’administration en harmonie avec la destinée naturelle, sinon avec les traditions du Sénégal, et conforme, à peu de chose près, à celui qu’avait tracé, dès le mois de novembre 1844, M. le capitaine de corvette Bouët, alors gouverneur de la colonie.

Le commerce y occupe le premier rang, comme il convient, et l’agriculture, le second, à ses côtés. Le Sénégal n’est point en effet, comme l’Algérie, par sa position géographique et son climat, une terre européenne plutôt qu’africaine, qui invite les émigrans à venir y fonder des établissemens agricoles et à s’y créer une nouvelle patrie. Le Sénégal n’est pas même, comme la Réunion, la Guadeloupe et la Martinique, une colonie à cultures, où les planteurs européens, possesseurs incontestés du sol, le mettent en valeur dans de grandes fermes, à l’aide de bras autrefois esclaves, aujourd’hui salariés. Un usage, ou si l’on veut un préjugé, dont rien ne promet la fin prochaîne,