Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/532

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

siècle d’agitations intérieures et de guerres sur le continent, a si bien oublié ses anciennes épopées coloniales, qu’elle ne se croit plus capable de les recommencer. Les conseils qui, dans les colonies, assistent le gouverneur se composent de fonctionnaires aussi instables que lui-même. La presse locale manque souvent d’autorité ou de liberté ; quelquefois même elle n’existe sous aucune forme. C’était le cas au Sénégal avant la création d’un moniteur local en 1856.

Dans cette mobilité des plus hauts fonctionnaires, il serait injuste de ne pas faire la part du climat, qui a trop souvent arrêté leur dévouement par ses graves ou mortelles atteintes ; néanmoins la raison principale de tant de changemens venait d’ailleurs. Presque tous les gouverneurs appartenaient à la marine de l’état, et rien dans leurs précédens ou dans leurs projets d’avenir ne liait leur destinée à celle d’une colonie naissante, où les principales créations étaient d’ordre civil et militaire. Ce poste constituait dans leur carrière une étape dont la durée devait être courte pour ne pas devenir une disgrâce. Cette, cause première d’oscillations irrégulières dans la marche de la colonie était aggravée par les fautes du commerce local. Uniquement préoccupé de l’Intérêt actuel, peu soucieux de préparer l’avenir, il gênait l’action du gouvernement par son alliance avec les Maures, par son dédain des noirs. En outre, il, se ruinait par une concurrence inintelligente, dont il demandait ensuite la répression à toute, sorte de combinaisons artificielles : compagnie avec monopole, compromis, entre les traitans, association générale, coopération privilégiée, demi-concurrence garrottée d’entraves[1]. Il ne fallut pas moins qu’une révolution pour inaugurer la liberté du commerce intérieur. Le gouvernement de la république ouvrit en 1848 cette large voie par la suppression de la compagnie de Galam et de Cazamance, qui expia moins le mal qu’elle faisait que le bien qu’elle empêchait de faire. Ce qui dans les attributions de la compagnie impliquait autorité supérieure, prévoyance lointaine, puissance respectée et redoutée, rentra dans les attributions du gouvernement, comme une partie de ses devoirs et de ses charges. Ce qui avait trait à la spéculation privée se trouva reporté sur la totalité des habitans, invités à s’ingénier pour eux-mêmes. Dès ce jour, chacun, maître de ses actions, comprit qu’il ne pouvait plus chercher hors de lui le principe de sa prospérité et un abri contre ses fautes : ce fut un grand bien.

L’abolition de l’esclavage, proclamée à la même époque, trouva le Sénégal mieux préparé qu’aucune autre colonie. Déjà un grand

  1. Dans l’étude déjà citée, on trouvera l’explication de ces divers régimes, tous aujourd’hui disparus.