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le flambeau qu’il tenait, et le replonger dans les blanches ténèbres que ne pouvait percer l’éclat de la lune, et qui dormaient comme un linceul sur la terre.

Au bruit du coup de pistolet, M. Goefle, épouvanté pour son jeune ami, laissa échapper un juron terrible ; Martina fit un cri, Marguerite tomba sur une chaise ; Péterson courut à M. Goefle. Leurs efforts combinés eussent peut-être réussi à ouvrir la porte ; mais ils ne s’entendirent pas. Péterson, tout dévoué à sa jeune maîtresse, ne songeait qu’à empêcher les malfaiteurs d’entrer, et ne soupçonnait pas que M. Goefle voulût au contraire sortir, pour voler au secours de Christian.

Durant ce malentendu, où le bon avocat se donnait à tous les diables, Christian, enchanté d’avoir enfin la liberté d’agir, s’était élancé sur le premier qui s’était trouvé devant lui ; mais celui-ci, qui, trompé par le brouillard, ne le croyait pas sans doute si près, prit la fuite, et Christian le poursuivit en le bravant et en l’injuriant, tandis qu’un autre bandit le suivait rapidement sans rien dire. Christian entendit derrière lui le bruit sec des pas de l’assassin sur la neige durcie, et il lui sembla entendre aussi, à travers le sang que la colère faisait gronder dans ses oreilles, d’autres pas et d’autres voix venant sur lui à droite et à gauche. Il comprit rapidement qu’il était traqué, et conservant assez de présence d’esprit pour savoir ce qu’il faisait, il s’acharna à la poursuite du premier assaillant, jugeant qu’il ne devait pas se retourner avant de s’être débarrassé de celui-ci, qui pouvait venir l’attaquer par derrière lorsqu’il aurait à faire face aux autres. En outre, il ne perdait pas de vue la résolution d’éloigner l’affaire du Stollborg.

Christian descendit ainsi le roidillon du préau, dont il trouva la porte ouverte, et, à vrai dire, la pente rapide que ses pieds rencontrèrent fut le seul indice certain qu’il put avoir de la direction qu’il prenait. Mais, au moment où il se sentit sur la glace unie du lac, d’autres détonations partirent de derrière lui, des balles sifflèrent à ses oreilles, et il vit tomber à deux pas devant lui l’homme qu’il poursuivait. Ce fugitif avait été pris pour lui par ses complices, ou bien ceux-ci avaient tiré au hasard sur tous deux, sans se soucier d’atteindre celui qui avait lâché pied.

L’homme que les balles venaient d’atteindre était Massarelli ; Christian reconnut sa voix, qui exhalait un rugissement d’agonie au moment où il enjamba son cadavre. Il courut encore afin de se donner le temps de se reconnaître pendant que les assassins ramasseraient ou tout au moins regarderaient Massarelli pour savoir qui ils avaient abattu. Puis il s’arrêta pour écouter, et il entendit seulement ces mots : « Laissez-le là ; il est bien. »

De quoi s’agissait-il ? Prenait-on Massarelli pour lui, et les assas-