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il faudrait pour échapper au lieu commun et au style d’épitaphe, ce serait soulever des voiles qu’il s’obstinait à tenir fermés, contrarier ses désirs, violer sa volonté ; ne rien dire au contraire, ou ne dire qu’à moitié, sans accent, sans physionomie, quelle lacune dans notre portrait !

Ce n’est pas tout. S’il faut glisser sur l’obligeance et sur la charité comme sur un terrain défendu, que serait-ce donc de la politique ? Elle occupait pourtant une très grande place dans cette vie. Scheffer avait pris au sérieux son titre de Français ; la patrie lui tenait trop au cœur pour qu’il fît bon marché d’elle et surtout de sa dignité. Dire qu’il aimait la liberté, qu’il l’avait aimée de passion, ce ne serait pas notre embarras ; point de difficulté non plus à montrer qu’il avait pour l’ordre un amour non moins énergique ; les preuves en sont encore parlantes à ceux qui n’ont pas oublié que s’il y avait en 1848 des démolisseurs insensés, il y avait aussi pour s’en défendre de véritables citoyens : dans les rangs de cette garde nationale, l’instrument de notre salut, Scheffer avait gagné ses chevrons, et comme chef de bataillon s’était fait un renom populaire par un sang-froid de vieux soldat uni à son élan d’artiste. Mais là n’était pas pour lui toute la politique. Risquer sa vie soit pour des théories, soit contre des émeutes, ce n’est qu’un moment de courage ; il faut quelque chose de plus pour vouer à sa cause, à ceux qu’on a servis, à ce qu’on croit honnête, ces fidélités vigoureuses que rien n’abat, que rien n’ébranle. Dans cet art peu pratiqué, Scheffer était passé maître, sa mort l’a trop bien prouvé. Croit-on qu’il nous fut loisible de peindre au vif ce côté de sa vie ? Pourrions-nous librement parler de ses affections, sans réticence, à cœur ouvert ?

Évidemment il faut nous arrêter devant les portes closes ; mais par bonheur il en est une que rien ne défend d’ouvrir. Chaque artiste, outre sa personne, a quelque chose qui est encore lui, où se reflètent sa vie intime, son caractère, ses habitudes, quelque chose d’intermédiaire entre le public et la famille : ce quelque chose est l’atelier. Sous un certain aspect, presque tous les ateliers se ressemblent : un assez grand vaisseau, des chevalets, des toiles, un mannequin, force cigares, force bons mots, voilà le fond des ateliers. Celui de Scheffer, entre autres exceptions singulières, était un atelier où l’on ne fumait pas, où tout n’était pas en désordre, où l’on causait, non sans gaieté, mais sans gros rire, comme dans un salon, un atelier spiritualiste en un mot. L’harmonie était donc complète entre les tableaux et l’atmosphère où ils naissaient, sans compter qu’une autre influence aidait encore souvent à les faire mieux sentir. Comme la plupart des peintres, Scheffer aimait la musique, et ne l’aimait pas à demi ; il en eût toujours entendu,