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jeune Moabite exprime admirablement la fidélité tendre et passionnée qui l’attache à sa belle-mère. On sent qu’elle aime en elle celui qu’elle a perdu ; les tristesses de son veuvage voilent encore ses yeux. Parmi les œuvres de Scheffer que le public ne connaît pas encore, il en est peu d’aussi touchantes et de plus originales. Aucune affectation de couleur locale ne trouble le spectateur, et pourtant il comprend où se passe la scène ; il sent comme un parfum biblique s’exhaler de ces deux figures.

C’est aussi une inspiration de la Bible, peut-être plus gracieuse encore, que le Premier Baiser donné par Jacob à Rebecca. Candeur et pureté sur ce front, amour chaste et brûlant sur ces lèvres, virginale beauté, respectueuse ardeur, rien ne manque à ce groupe charmant. Les contours sont fins et hardis, la touche souple et brillante. Scheffer n’a jamais rien mis sous les yeux du public qui soit d’un tel bonheur d’exécution.

Bien d’autres compositions nous viennent en mémoire ; mais le lecteur n’est-il pas las de ces souvenirs sans contrôle ? Nous ne pouvons pas même, pour l’aider à nous suivre, invoquer ici la gravure ; parmi toutes ces œuvres nées coup sur coup depuis douze ans, il en est peu qui soient déjà gravées. Elles le seront toutes, peut-être même trouvera-t-on moyen, si dispersés que soient les tableaux, de les réunir quelque jour et d’en faire une exposition publique ; tout cela par malheur n’est encore qu’en projet et demande du temps. Il faut, quant à présent, qu’on veuille bien encore nous croire sur parole, tout au moins pour deux ou trois tableaux, dernier complément, selon nous, de cette chaîne de progrès dont nous venons de suivre les anneaux. Après des pages comme la Sainte Monique, les Saintes Femmes, la Ruth, la Rebecca, on croit toucher au terme ; un pas nouveau, et le plus grand, reste pourtant à faire. Déjà Scheffer, comme on l’a vu, s’était essayé plusieurs fois au grand problème de l’art chrétien, l’image du Sauveur, la représentation de l’Homme-Dieu. Cette désespérante entreprise ne rebutait pas son courage ; il la poursuivait sans relâche, comme obsédé par la vue d’un type qui lui échappait sans cesse, comme animé par le pressentiment que là serait sa meilleure victoire et le couronnement de sa vie.

De tous les chefs de la peinture, quels sont ceux qui, en cherchant les traits du Dieu fait chair, ont trouvé seulement ceux d’un homme tant soit peu supérieur à la moyenne de notre espèce ? Quelle raideur solennelle chez les uns, quelle molle douceur, quelle afféterie chez les autres ! Sanzio lui-même, qui seul peut-être a complètement touché le but, l’a-t-il toujours atteint ? Dieu s’est révélé à lui, nous l’osons dire ; il a vu Dieu, il nous le montre, mais seulement dans