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du pur tableau d’histoire, de s’obstiner à pâlir devant de grandes toiles qui glacent son imagination, de s’énerver dans les lenteurs d’une exécution compliquée, il comprend qu’il lui faut des cadres plus restreints, des toiles qui se couvrent presqu’au courant de la pensée, de simples tableaux de chevalet.

Donnera-t-il à ces tableaux le fini précieux qu’on exigeait alors dans les œuvres de dimension moyenne ? Il s’en gardera bien. Descendra-t-il à l’autre extrême, aux rudesses de l’ébauche, aux négligences du croquis ? Pas davantage ; il saura se faire une touche à la fois libre et fine, exprimant tout sans appuyer, indiquant avec suavité des contours d’une exquise élégance, et ne couvrant le sentiment que de tout juste assez de couleur pour qu’il demeure transparent. Tel est le plan qu’il se traça, ou plutôt qui lui vint à l’esprit tout fait et tout tracé, comme les choses naturelles. Il le mit aussitôt en pratique, et commença cette série de scènes familières, touchantes et parfois pathétiques, petits drames pleins de larmes si vraies et d’émotions si douces, qui bientôt allaient rendre son nom célèbre et même populaire, occuper exclusivement cette première phase de sa vie d’artiste, et lui faire patiemment ajourner toute autre tentative plus ambitieuse et plus sévère.

Dire seulement les titres de ces nombreux tableaux, c’est réveiller des souvenirs, rappeler des images que tout le monde a dans la pensée. Qui n’a pas vu, grâce au burin ou à la lithographie, la Veuve du Soldat, le Retour du Conscrit, les Orphelins sur la tombe de leur mère, la Sœur de charité, les Pêcheurs pendant la tempête, l’Incendie de la ferme, et ce vivant portrait de nos désastres, cette page toute frémissante de colère patriotique, la Scène d’invasion en 1814 ? Le succès de ces compositions, immense il y a trente ans, ne s’est guère démenti, ce nous semble. Que dans le choix des sujets et dans la manière de les rendre il y eût quelques flatteries au goût du jour, quelques moyens de circonstance, un peu de cette habileté, de ce génie du succès qui nous donnait alors des Michel et Christine, et certaines chansons de Béranger, on ne peut en disconvenir ; mais sous le savoir-faire il y avait ce qui dure, ce qui survit à la mode, ce qui va au cœur du public dans tous les temps, un accent vrai, une émotion naturelle et communicative.

Au point de vue de l’art, ce qui recommandera toujours ces petits poèmes, c’est une grande qualité, la qualité magistrale de notre école, l’art de la composition. Nombreux ou clairsemés, les personnages y sont tous à leur place, ils pensent, ils agissent, ils parlent, ils dialoguent clairement, sans confusion, sans emphase, sans digression, à la française en un mot, car cet art de grouper, de disposer des personnages, de les bien mettre en scène, non pas en