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l’entrée de notre école au nom de la géographie. La nouvelle consigne adoptée au musée du Louvre l’enverrait, lui et ses œuvres, parmi les Hollandais, gens habiles à coup sûr, divins même si l’on veut, mais dont pas un n’est de sa famille, et qui ne lui ont transmis en héritage pas plus leurs qualités que leurs défauts. Ce qui peut nous rassurer sur la nationalité de Scheffer, c’est qu’au moment de sa naissance la Hollande nous appartenait, et qu’il put faire valoir les droits que lui assurait le code, sans parler de ; ceux que confèrent une éducation toute française et cinquante ans de séjour à Paris !

C’est pourtant à Dordrecht qu’il fit ses premières armes. Il naquit, on peut dire, le crayon à la main. Son père était artiste, artiste de talent, et promettait de devenir un peintre, si la mort lui en eût donné le temps. Elle le surprit presque au début de sa carrière. Il laissait une veuve, quelques tableaux inachevés, et trois fils encore enfans. Tous trois se sont fait un nom. Ary était l’aîné ; une vocation non équivoque le destinait à la peinture. Il y a des gens à Amsterdam qui se souviennent encore d’avoir vu, du temps du roi Louis, un tableau qui fit sensation et qui reçut les honneurs d’une exposition publique ; c’était une assez grande toile, des figures de grandeur naturelle, un vrai tableau, une œuvre d’homme, et l’auteur n’avait pas douze ans : il se nommait Ary Scheffer.

On dit, non sans raison, que les petits prodiges ne sont pas toujours de grands hommes, et pourtant il faut reconnaître que dans les arts c’est un indice et presque un gage nécessaire d’une supériorité future qu’une assez grande précocité. Des écrivains, des poètes même qui ne découvrent leur talent qu’à l’âge de raison, même après quarante ans, comme Jean-Jacques et Walter Scott, il y en a toujours eu ; quant aux peintres et aux musiciens, il faut qu’ils soient plus diligens, Ce n’est pas trop de la souplesse, de la flexibilité de l’enfance pour façonner une main d’artiste. Plus vous aurez de génie, plus votre main doit de bonne heure se préparer à vous comprendre et à vous obéir. Pas de Raphaël sans des doigts de fée, tandis qu’on peut si bien écrire en tenant si mal sa plume ! Tous les enfans de sept ans qui improvisent au piano ne seront pas des Mozart ni même des Listz ; mais des Mozart qui se révèlent à trente ans ou seulement à vingt, jamais on n’en verra.

Ce qui perd les enfans trop hâtifs, c’est leur premier succès. Ils s’y complaisent, se font une routine, et deviennent des nains. Notre peintre de douze ans comprit heureusement, et sa mère comprit comme lui, malgré les flatteries du public et du roi lui-même, qu’il n’était après tout qu’un habile écolier, et qu’il avait besoin d’un maître. Où le chercher ? En Hollande, ce n’était guère possible : les