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ciations la froideur avec laquelle on rédige un procès-verbal. On voit combien les événemens qu’elle raconte sont loin d’elle, loin de sa pensée. Il semble que, par suite du travail d’idées qui s’est opéré dans son esprit, son cœur se soit en même temps transformé. La publication nouvelle dont nous parlons porte au contraire l’empreinte d’une émotion qui ne craint pas de s’avouer, parce qu’elle s’allie avec une recherche sincère de la vérité, avec une tendance louable à éviter les écarts d’imagination si dangereux en pareil sujet. Il est toutefois une objection qu’elle soulève : la prédilection des auteurs pour un temps où la grâce et la légèreté aimable cachaient trop souvent l’absence des fortes vertus de l’esprit et du caractère, cette prédilection, instinctive plutôt que raisonnée, ne gagnerait-elle pas à s’accuser un peu moins ? Le goût du détail et de l’anecdote ne leur fait-il pas perdre de vue çà et là l’intérêt d’ensemble ? Quoi qu’il en soit, il faut reconnaître que le cadre biographique excuse, s’il n’autorise pas absolument, la manière adoptée par les auteurs de ce livre. Grâce à ce procédé d’analyse intime, si l’on est conduit à oublier parfois la reine, on arrive en revanche à mieux connaître la femme, avec toutes les qualités fatales et charmantes qui expliquent sa destinée. Un autre mérite du livre de MM. de Goncourt, c’est d’accorder une grande part à l’étude des personnages qui entouraient la reine, et qui formaient le milieu où la douce autorité de son caractère aimait à s’exercer. Les portraits de M. de Besenval et de la duchesse de Polignac sont particulièrement bien étudiés. Il faut reconnaître d’ailleurs qu’arrivés à la sinistre période qui termine la vie commencée au milieu de tant de pompes et d’élégances, MM. de Goncourt montrent un sentiment plus vrai du rôle historique de la reine. Ils vengent Marie-Antoinette non-seulement des absurdes infamies dirigées contre elle, mais encore du silence calomnieux gardé par les contemporains sur sa conduite politique. Ils la montrent condamnant avec énergie l’émigration, et citent à l’appui de leurs assertions une lettre de la reine au comte d’Artois qui ne laisse aucun doute à cet égard. Le caractère politique de Marie-Antoinette se trouve ainsi singulièrement grandi, et les auteurs ont su heureusement le faire ressortir en l’opposant au royalisme irréfléchi de Mme Elisabeth. On voit que la biographie ainsi comprise, malgré les objections de détail qu’elle soulève, devient à plus d’un égard le complément de l’histoire, et on ne peut qu’encourager des études faites dans cet esprit sur la dernière moitié de ce xviiie siècle, si plein de spectacles instructifs et de douloureuses leçons pour la France.deschamps.


V. de Mars.