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nada, l’assurer pour jamais contre une annexion qui ne saurait lui donner des lois plus libres, une sécurité plus entière que celle dont il jouit. Il a conclu entre les Yankees et l’Angleterre ce traité de réciprocité, le gage le plus intime qui ait jamais uni deux peuples indépendans. Un tel honneur, un tel résultat, sont dus, pour une grande part sans doute, à la sagesse de vues, à la dignité franche du négociateur; mais n’oublions pas non plus ce que pouvaient lui apporter de facilités et d’appuis son origine même et la nature à la fois identique et multiple des branches éparses de la race anglaise. Il appartenait à un descendant des Bruce d’inspirer confiance à l’esprit de liberté le plus avancé, de lui communiquer modération et justice, d’être en bon accord avec lui sans lui trop céder, comme il appartenait à tant de jeunes héritiers des anciennes familles de la libre Angleterre d’accourir aux Indes et d’y prodiguer leur vie aussi bien que les plus aventureux soldats de fortune. Les exemples que donne ainsi la vieille Angleterre, ses colonies les lui renvoient d’un bout du monde à l’autre. Le défenseur de Kars, sir Fenwick Williams, est un Anglais transatlantique, et l’homme dont la France, toujours noblement partiale pour le courage, admirait l’héroïsme au siège de Lucknow, le général Inglis, est un natif de la Nouvelle-Ecosse.

Cette puissante unité de la race anglo-saxonne, entretenue par l’usage comme par l’instinct de la liberté, cette force de reproduction qui la multiplie sur tant de points du monde, avec sa ténacité de travail, son indépendance de jugement, son besoin d’examen et d’équité, tout cela, malgré l’immortelle séparation consommée dès 1783, établit de grands rapports entre les deux côtés de l’Atlantique. Certaines qualités communes, les ressemblances et aussi la différence des institutions, la stérilité des luttes, et, sur de grands points, l’accord manifeste des intérêts, enfin cet esprit de conséquence pour les choses philanthropiques et généreuses, ce point d’honneur humain et social, plus puissant qu’on ne croit dans la politique toutes les fois qu’il y est entré, confirmeront, on ne peut en douter, le rapprochement des deux peuples. Ce progrès d’intime alliance facile à prévoir est un des grands faits du siècle dont nous avons déjà dépassé le milieu. Il appartient à la France, non de s’en inquiéter, mais de le pressentir avec certitude et de le faire entrer en considération dans les calculs de sa propre grandeur et de sa propre mission tutélaire sur l’Europe orientale et sur les races chrétiennes de l’Asie.


ARTHUR DUDLEY.