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tion en est fausse, et la force ne sert qu’au mal. M. Hawes est arrivé au gouvernement de la prison de *** après un certain capitaine irlandais nommé le capitaine O’Connor, le meilleur homme du monde, et sous les ordres duquel on n’a cependant pas constaté que les affaires allassent trop mal ; mais son successeur est un de ces hommes qui ne veulent, sous aucun prétexte, emboîter le pas de qui que ce soit, — et ne pas faire ce que faisait son devancier, celui-ci fît-il bien, est aux yeux de Hawes un mérite dont il s’empresse de tirer gloire. M. Hawes, on le voit, est le « descendant d’Odin » tout entier. Il sort, non modifié par le travail de huit siècles, de ce « premier bateau plein de barbares » dont parle Emerson, de ce bateau de pirates scandinaves « auxquels, dit-il, remontent cependant plus ou moins tous les ducs et pairs et tous les chevaliers de la Jarretière d’aujourd’hui. » M. Hawes en est encore à ses origines; le Norseman brutal, féroce, rusé, le vrai barbare enfin, est entier, non atténué. Faites porter sur cette nature certaines influences bienfaisantes, modifiez-la, élevez-la mieux, et vous en tirerez encore quelque chose, car l’étoffe manque peut-être moins qu’on ne croit. De pareilles organisations ne pèchent point par ce qui paraît être la plus fréquente cause de leurs torts. Ce n’est point leur force qu’il faut accuser de leurs méfaits, — la force n’a jamais été, ne sera jamais un mal; — c’est la médiocrité de leur intelligence qui est leur défaut, et c’est par leur énergie au contraire que l’on pourrait en faire d’utiles citoyens. Malheureusement entre Hawes et Frank Eden la lutte éclate au premier choc, et il ne peut être question que de vaincre le gouverneur de la prison, nullement de le modifier.

Je ne connais rien qui soit plus caractéristique, plus anglais que la scène où bien définitivement le chapelain déclare la guerre à son supérieur. Il n’y a évidemment qu’un pays au monde où pareille scène puisse se passer, qu’une race où les hommes se vouent avec cette détermination à ce qui personnellement ne les regarde pas. « Ils mettent, dit Emerson, une ardeur incomparable à poursuivre un but public. Ainsi des particuliers font preuve, à propos de n’importe quelle recherche ou quelle entreprise, de la même opiniâtreté qu’a montrée la nation dans ces éternelles coalitions où elle attirait toute l’Europe contre Bonaparte, et dont elle ne se lassa que lorsque la sixième eut enfin abouti. » La justesse de cette observation ressort d’une manière frappante dans toute la lutte que soutient Frank Eden contre le directeur de la geôle de... Ce dernier commence par parler de son autorité, son adversaire lui oppose celle de la loi ; Hawes prétend l’éluder, Eden menace du home-office; Hawes hausse les épaules, et le clergyman finit par prononcer le grand mot, « l’appel à la nation » appuyé par une forte somme que lui-même mettrait au service des prisonniers sortant de la maison de détention, afin qu’ils