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L’erreur du point de départ admise, tout ce qui suit est d’un chrétien des premiers âges, et dans ce goal-chaplain il y a l’étoffe d’un martyr. Grâce à une piété exaltée et à l’énergie du caractère national, Frank Eden est prêt à tout entreprendre et à tout supporter pour la foi, pour le droit, pour son devoir, parce qu’il a une surabondance de force qui le pousse à tout surmonter et à tout dompter. C’est un soldat chrétien au fond duquel se retrouve le « descendant d’Odin » dont parle Emerson.

Dans la peinture qu’il trace d’une visite à Broadlands chez lord Palmerston, un Américain, d’humeur sédentaire sans doute, raconte que le lendemain de son arrivée[1] le noble vicomte lui proposa de faire un petit tour à cheval avant le dîner. « Je vous montrerai la New-Forest, dit sa seigneurie. — Est-ce loin ? demanda son hôte. — A une dizaine de milles seulement. — L’Américain s’excusa. — Est-ce qu’il y aurait de quoi vous fatiguer dans un tour de galop de cette sorte? » demanda le ministre. Ceci se passait à la fin de 1850, et lorsque lord Palmerston s’étonnait qu’un « tour de galop d’une vingtaine de milles (aller et retour compris) » pût compter pour une fatigue dans les autres détails de la journée, il avait plus de soixante-sept ans, et devait chaque jour, comme ministre des affaires étrangères, défendre sa politique contre les incessantes attaques de l’opposition. A vrai dire, chez lord Palmerston plus que chez qui que ce soit se retrouvent les caractères de sa race, et sous quelque forme qu’il apparaisse, orateur, ministre, man of business, homme de salon, vous découvrirez toujours la « structure primitive » de l’espèce à laquelle il appartient. On peut ne pas partager toutes les idées politiques de lord Palmerston; on ne peut lui refuser deux choses : d’être un des hommes les plus remarquables de notre époque et d’être l’Anglais le plus Anglais qui existe. Or l’entrée en scène de M. Eden le désigne comme un membre de cette même famille.

« J’ai accepté par intérim la place de pasteur de ce village, dit Eden à miss Merton à leur première entrevue, et je la remplirai jusqu’à ce que vous ayez un desservant attitré; mais je ne pourrai pas être ici tous les jours, attendu que j’ai ma paroisse à moi à diriger, et que pour venir ici il me faudra chaque fois faire trente milles à cheval. » Dans ces paroles éclate ce qui constitue la supériorité de M. Eden, la réunion de toutes les qualités distinctives de la race saxonne. Il en a non-seulement l’énergie, il en a aussi la bienveillance et le désir de venir en aide à ses semblables, qui font dire à Emerson que « les deux sexes coexistent toujours au fond de l’individu anglais[2]. » A peine a-t-il visité une fois les pauvres du

  1. Adventures of a raving diplomatist, by Henry Wikoff of New-York.
  2. « L’Anglais est plutôt viril que belliqueux. Quand la lutte est finie, le masque tombe, et tous les goûts domestiques reparaissent. Ce sont de vraies femmes par la tendresse de cœur. »