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chester. Avec le départ de George Fielding pour les colonies commence le roman véritable, et nous faisons peu à peu connaissance avec les trois héros du livre, car il y en a bien trois : George Fielding, Tom Robinson et Frank Eden, le chapelain de la geôle.

Avant d’aller plus loin dans cette analyse, il faut noter un trait essentiel du livre de M. Reade. Ce qui fait l’originalité de ses trois héros, c’est l’unité du caractère, le cachet de race qu’ils portent profondément empreint. Ce roman est, depuis la première page jusqu’à la dernière, peut-être même sans que l’auteur s’en doute, le panégyrique de la plus grande de toutes les qualités britanniques, de la volonté, de cette volonté persistante, inflexible, indomptable, source à la fois de toute la grandeur nationale et de tant de raideur et d’aspérités qui, dans la vie privée, rendent l’Anglais intolérable aux races du continent. Un des caractères de l’Anglo-Saxon, c’est de vouloir fortement et de vouloir toujours; l’acte de volition lui est naturel, et d’une façon ou d’une autre, soit par la force, soit par une persévérance infatigable, il tend perpétuellement à faire triompher sa volonté de celle d’autrui. « Cette race, dit Emerson, est douée de ce tempérament bilieux et nerveux à la fois que les médecins reconnaissent incapable de soumission à une volonté étrangère. » Je voudrais prendre ces paroles pour en faire l’épigraphe du livre de M. Reade. L’histoire de ce que peut une volonté inébranlable, voilà ce qui rend ce livre si essentiellement anglais, ce qui fait qu’il ne pourrait être le produit d’aucune littérature autre que la littérature britannique. Dans ce roman, nous le répétons, les événemens ne jouent pas un grand rôle. Tout l’intérêt repose sur le développement des caractères et sur les modifications que leur font subir les circonstances extérieures. Chacun des personnages part pour atteindre un but, to gain his end, comme dit l’Anglais, en attachant à ces mots une importance tout autre que celle que nous y mettrions, et c’est sa façon de surmonter les difficultés multipliées sur son chemin qui tient l’attention et la sympathie du lecteur éveillées.

Isaac Lévi, un Juif ennemi juré de Meadows et lié à Susan Merton par le souvenir d’un bienfait, est parti pour se faire marchand d’or à Bathurst. Meadows devine que le Juif veillera quelque peu sur le jeune Fielding; dès lors il achète des terrains considérables dans le voisinage immédiat des gold diggings et envoie pour les exploiter un misérable nommé Crawley, son âme damnée, prêt et propre à tout faire, et qui sait que la fortune ou le retour de George est ce qu’il s’agit d’empêcher. Que celui-ci ne réussisse point à gagner les mille guinées que lui demande le père de sa fiancée, ou bien que, les ayant gagnées, il les perde, il sera libre de revenir à sa ferme du Berkshire; mais s’il gagne et conserve la fortune que le vieux Merton