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promet des points d’appui qui lui manquent maintenant. Ici encore le grand art de la politique consiste à respecter la liberté des résolutions : aidez à faire sans contraindre.

D’ailleurs, bien que nous vivions à une époque où l’on a pris l’habitude de remuer, surtout sur le papier, les centaines de millions et les milliards, la circulation soudaine d’une masse d’effets, dont les promoteurs de cette idée estiment eux-mêmes le montant à 8 milliards de francs en acceptant les évaluations les plus réduites, nous reporte nécessairement par la pensée aux mandats territoriaux et aux assignats de la révolution française. La terre ne saurait être monnayée, elle est une machine à capitaux, puisqu’elle produit les premiers élémens de l’épargne ; mais elle n’est pas elle-même un capital : vouloir la mobiliser, c’est courir au-devant d’une inévitable catastrophe. Les institutions de crédit foncier, sainement comprises, mobilisent le crédit de la terre en fournissant une garantie complète aux capitaux, qu’elles dirigent vers le sol, mais qu’elles ne créent pas, et qui doivent exister comme fruit du travail des générations. Il faut donc, tout en laissant place aux améliorations futures, faire cadrer les émissions avec les ressources acquises; autrement on arriverait à déprécier, à avilir le cours des valeurs imprudemment multipliées. Ces valeurs, pour être admises par la confiance publique, doivent reposer sur un gage certain, facilement appréciable, facilement réalisable, d’un prix de beaucoup supérieur au montant nominal du titre, et d’un revenu assuré. Ces conditions réunies ont fait la fortune des institutions de crédit foncier de l’Allemagne et de la Pologne. Il suffit de les connaître pour voir que l’indemnité des propriétaires ne saurait être réglée de cette manière. Elle devrait en effet représenter, non une fraction, mais le total du prix de la terre cédée au paysan, ce qui entraînerait la dépréciation forcée de la valeur fiduciaire. Il serait inutile d’examiner le remède indiqué par ceux qui oublient que le cours forcé, loin de couper court à un pareil embarras, serait le signal d’un véritable cataclysme financier, où viendraient s’abîmer la fortune publique et l’aisance des classes laborieuses. Les propriétaires, désireux de sortir d’embarras en liquidant la situation présente au moyen de l’indemnité, n’arriveraient donc qu’à une périlleuse déception; quant aux cultivateurs, ils comprendraient plus difficilement la charge obligatoire d’une redevance cumulée avec l’amortissement que la charge simple du loyer de terre dont l’acquisition leur serait ouverte à l’amiable. Sans doute, pour ces arrangemens libres, une institution de crédit territorial pourra intervenir utilement afin de fournir une partie du capital; mais il faut qu’une autre partie provienne des ressources accumulées par le cultivateur lui-même, et l’on ne peut condamner cette nécessité, qui dérive de la nature des choses et qui tient en