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l’étendue des terres dont le seigneur concédait l’usufruit. Le droit individuel commençait à se manifester, d’une manière humble et restreinte sans doute, mais sur des bases différentes de celles qui dominaient dans la Grande-Russie. Comme dans les anciennes provinces de la Lithuanie et de la Pologne, l’idée communiste cédait le pas à la possession héréditaire. Les corvées et les redevances ne dépendaient pas d’un caprice arbitraire du maître. Néanmoins la servitude était complète au XVIIe siècle, et la diète courlandaise (landtag) réclamait encore l’application de la loi romaine contre les serfs fugitifs. Le paysan qui cherchait à se soustraire à l’autorité de son maître devait, en cas de récidive, avoir le pied coupé.

Les rois de Pologne, sous le sceptre desquels les provinces de la Baltique furent longtemps placées, appliquèrent leur influence à y rendre moins déplorable la situation des paysans. En 1582, le grand roi Etienne Batory fit déclarer à la noblesse livonienne qu’il était urgent de soulager la population des campagnes, opprimée d’une manière surprenante (miris modis), et quatre ans plus tard, en 1586, il réitéra cette injonction en faisant dire à la diète de Livonie, par le voïévode de Sandomir et Marienbourg, Bogulavski, que l’oppression sous laquelle gémissaient les paysans livoniens était tellement dure et cruelle « que dans le monde entier, même parmi les païens et les barbares, on n’avait jamais rien vu de pareil, » Batory voulait faire abolir la peine des verges en lui substituant des amendes; mais les paysans, plongés dans l’abrutissement et la misère, réclamèrent contre l’introduction des peines pécuniaires. En l’apprenant, le monarque dit : Phryges non nisi plagis emendantur. Ces paroles furent constamment citées plus tard par la noblesse en réponse aux admonitions des rois de Pologne et de Suède. En 1597, le successeur de Batory, Sigismond III, envoyait en Livonie une commission d’enquête qui interdit aux fermiers et aux intendans des domaines royaux de grever les paysans de nouvelles taxes et de les empêcher de vendre l’excédant de leurs produits. Le landtag de 1598 prit une résolution analogue. La Livonie passa ensuite sous la domination suédoise, et le sort des serfs devint moins dur : un cadastre fut ordonné afin de partager le sol cultivé pour le compte du propriétaire à l’aide des corvées (Hofesland); des terres furent abandonnées aux paysans en échange de ce travail ou d’autres prestations qu’ils devaient fournir (Bauerland). Le gouvernement suédois s’occupa aussi d’améliorer la condition des cultivateurs en Esthonie, et les rois de Pologne ne cessèrent point de poursuivre un but analogue en Courlande. On voulait arriver à fixer les droits respectifs, à limiter l’arbitraire du seigneur, auquel on laissait un pouvoir disciplinaire (Hauszucht), mais on n’arrivait point à la grande mesure de l’affranchissement.