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l’heure éclairer M. Goefle chez M. Stenson, vous savez bien, le vieux qui n’entend pas ce qu’on lui dit, et qui demeure dans l’autre cour ?

— C’est bon, je sais ; dis vite, et ne mens pas, ou je reprends mon cheval.

— Eh bien ! je suis resté à attendre M. Goefle dans la chambre de M. Stenson, où il y avait du feu, pendant que M. Goefle parlait fort avec lui dans le cabinet qui est à côté.

— Que se disaient-ils ?

— Je ne sais pas, je n’ai pas écouté ; je jouais à arranger le feu dans la cheminée. Et puis tout d’un coup il est venu dans le cabinet des hommes qui disaient comme ça : « Monsieur Stenson, il y a une heure que M. le baron vous attend. Pourquoi est-ce que vous ne venez pas ? Il faut venir avec nous tout de suite. » Et puis on s’est disputé. M. Goefle disait : « M. Stenson n’ira pas, il n’a pas le temps. » Et M. Stenson disait : « Il faut que j’y aille, je ne crains rien. Je vais y aller. » Et puis M. Goefle a dit : « J’irai avec vous. » Alors je suis entré dans le cabinet, parce que j’avais peur qu’on ne fît du mal à M. Goefle, et il y avait là trois… ou six hommes bien habillés en domestiques.

— Trois… ou six ?

— Ou quatre, je n’ai pas pu compter, j’avais peur ; mais M. Goefle m’a dit : Va-t’en, et il m’a poussé dans l’escalier en me jetant dans les jambes ce paquet de papiers sans que personne le voie. Peut-être qu’il ne voulait pas qu’on sache qu’il me donnait cela, et moi j’ai ramassé ; je me suis sauvé, et puis voilà tout !

— Et tu ne me dis pas, imbécile, si M. Goefle…

Christian, jugeant bien inutile de formuler sa pensée, rassembla les papiers à la hâte, les enferma dans sa caisse, dont il prit la clé, et s’élança dehors, inquiet de la situation de l’avocat, au milieu des événemens incompréhensibles qui se pressaient autour de lui.

Nils criait déjà en se voyant seul avec les marionnettes, qui l’effrayaient un peu malgré l’attrait qu’elles avaient pour lui, lorsque M. Goefle arrêta Christian au passage et rentra avec lui dans la salle de l’ourse. Il était pâle et agité.

— Oui, oui, dit-il à Christian, qui le pressait de questions, fermons les portes. Il se passe ici des choses graves. Où est Nils ? Ah ! te voilà, petit ! Où as-tu mis les papiers ?

— Il les mettait en bateaux, répondit Christian ; je les ai sauvés, ils sont là, tout déchirés, mais rien ne manque. J’ai tout ramassé. Qu’est-ce donc, monsieur Goefle, que ces lettres singulières qui me concernent ?

— Elles vous concernent ? Vous en êtes sûr ?

— Parfaitement sûr.