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fort cher, quand il coûte les coups de bâton administrés pour le produire. Ce n’est pas ainsi, Dieu merci, que la richesse publique peut se développer. Il n’y a aucun équilibre entre la perte que subit le paysan et le bénéfice que retient le maître; aussi l’abolition du servage peut-elle profiter en même temps à tous les deux. Cet espoir nous semble permis, bien que nous ne nous fassions point illusion sur la gravité du problème et sur les difficultés que rencontre une solution équitable.

La question vient de faire un grand pas. Les paysans des apanages (udzielni chrestianié), qui appartiennent aux domaines de la famille impériale, au nombre de près de huit cent mille âmes (plus d’un million et demi de population des deux sexes), ont obtenu, en vertu d’un ukase du 20 juin (2 juillet) de cette année, la jouissance de droits personnels et de droits de propriété qui relèvent leur condition, en la rapprochant de celle des hommes libres. Ils pourront désormais posséder et disposer de leur bien. Jusqu’à présent, aucune acquisition ou aliénation de terres non habitées ne pouvait être faite par cette classe de paysans sans le consentement formel du département des apanages. L’ukase du 20 juin (2 juillet) ne se borne pas à disposer pour l’avenir, il ordonne de transférer au nom des paysans des apanages tous les contrats d’acquisition faits jusqu’ici de leurs deniers. Il ne s’agit nullement, comme quelques personnes l’ont supposé à tort[1], de leur concéder les terres dont ils ont aujourd’hui la jouissance, et pour lesquelles ils s’acquittaient en payant l’obrok ou en faisant la corvée (bartchina), mais seulement de leur transmettre en pleine propriété nominale les terres qui avaient été acquises pour leur compte par le département des apanages. L’ukase abolit les règlemens jusqu’ici en vigueur en vertu desquels on n’autorisait le passage des paysans des apanages dans la classe des bourgeois que dans les propriétés peu étendues, moyennant un versement de 600 roubles argent (2,400 fr.), et le passage dans la classe des marchands que sous la condition de justifier d’un capital important et de payer 1,500 roubles argent (6,000 fr.) par individu du sexe masculin. Les règles applicables aux paysans de la couronne ont été étendues aux paysans des apanages; ils pourront passer dans la classe des bourgeois du consentement de leurs chefs directs, en payant : chaque chef de famille 40 roubles argent (160 fr.) pour entrer dans la classe des marchands, et 15 roubles (60 francs) pour entrer simplement dans celle des bourgeois. Les autres mem-

  1. Nous-mêmes avions cru pouvoir admettre, non sans réserve toutefois, dans la chronique du 15 août dernier, cette supposition, empruntée à une correspondance de Saint-Pétersbourg, qu’on nous disait, que nous devions croire « sûre et bien informée, » et où les paysans des apanages étaient confondus à tort avec les paysans de la couronne en général. (N. du D.)