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tante Gertrude lui avait promis qu’il s’amuserait en voyage, et il ne s’amusait pas du tout. — Mais je me moque de toi, grand vilain ! dit-il en faisant la grimace à Christian ; je sais faire de jolis bateaux en papier, et tu ne verras pas ceux que je vais faire !

— C’est bien, c’est bien ! répondit Christian, qui, comptant sur l’aide de M. Goefle, continuait lestement sa besogne de costumier ; fais des bateaux, mon garçon, fais-en beaucoup, et laisse-moi tranquille.

Tout en clouant les chapeaux et les manteaux sur la tête et autour du cou de ses petits personnages, Christian regardait la pendule, et s’impatientait de ne pas voir revenir M. Goefle. Il essaya d’envoyer Nils au gaard pour le prier de se hâter ; Nils boudait et faisait semblant de ne pas entendre. — Pourvu, se dit Christian, que nous ayons le temps de lire le canevas !… C’est tout au plus si je me le rappelle, moi ! J’ai eu tant d’autres soucis aujourd’hui… Ah ! j’ai promis au major une scène de chasseurs… Où la placerai-je ? N’importe où ! Un intermède pillé de la scène de Moron avec l’ours dans la Princesse d’Élide. Stentarello fera le brave ; il sera charmant ; … il se moquera des gens qui tuent l’ours à travers un filet, … comme M. le baron ! Mais pourvu que Puffo n’ait pas emporté le canevas de la pièce ?… Je le lui avais mis dans les mains !…

Christian se mit à chercher son manuscrit autour de lui. En faire un autre, c’était encore une demi-heure de travail, et sept heures sonnaient à la pendule. Il fouilla dans la boîte qui contenait tout son petit répertoire. Il dérangea et retourna tout ; il avait la fièvre. L’idée de ne pas aller au château neuf à l’heure dite et de paraître vouloir se soustraire à la haine du baron lui était insupportable. Il se sentait pris de rage contre son ennemi, et l’amour se mettait peut-être aussi de la partie. Il brûlait de braver ouvertement l’homme de neige en présence de Marguerite, et de lui montrer qu’un histrion avait plus de témérité que beaucoup des nobles hôtes du château.

En ce moment il regarda Nils, qui faisait avec beaucoup de gravité et d’attention ce qu’il lui plaisait d’appeler des petits bateaux, c’est-à-dire des papillotes de diverses formes avec du papier plié, replié, déchiré, puis chiffonné, roulé et jeté par terre quand l’objet n’était pas réussi à son gré. — Ah ! maudit bambin, s’écria Christian en lui arrachant des mains une poignée de paperasses, tu mets mon répertoire en bateaux !

Nils se mit à pleurer et à crier en jurant que ces papiers n’étaient pas à Christian et en essayant de lutter avec lui pour les ravoir.

Tout à coup Christian, qui dépliait précipitamment les bateaux pour tâcher de rassembler les feuillets de son manuscrit, devint sé-