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que M. Thierry les a tournés habilement ? De tous les caractères qu’il a mis en scène, quel est celui qui a paru d’une couleur fausse et exagérée ? Chilpéric, le barbare frotté de civilisation et ne lui empruntant guère que des raffinemens de cruauté ; Frédégonde, l’ambitieuse effrénée qui ne connaît que le désir ; Brunehaut, la reine barbare devenue presque romaine et concevant quelque chose de mieux que le chaos de son époque ; Mummolus, « l’homme qui se fait barbare et se déprave à plaisir pour être de son temps ; » Grégoire de Tours, l’évêque saint et pur, méprisant les hommes et les temps nouveaux ; enfin ce mélange confus, mais vivant, de Franks restés de purs barbares, de Gallo-Romains opprimés, de barbares dégrossis, tout cela ne peint-il pas en traits saisissans le berceau de la France moderne ? Il fallait, pour prendre sur le fait de semblables caractères, la naïveté d’un chroniqueur et la sagacité d’un politique moderne. M. Thierry a merveilleusement fondu ces qualités dans les Récits mérovingiens. On s’était figuré dans ces conquérans germains des êtres tout d’une pièce, ayant encore les vertus et la barbarie de leurs forêts ; on s’étonna de voir rire, plaisanter, philosopher même et dogmatiser des gens si peu scrupuleux sur l’assassinat ; on s’étonna de voir une reine visigothe pleurer en quittant le doux pays d’Espagne, le bon roi Gonthramn multipliant ses femmes et ses maîtresses au moins autant que ses fondations pieuses, et ce mélange de crainte et de respect, de haine et d’envie, que l’église inspirait à ses nouveaux convertis. Les lettres mêmes avaient leur place dans ces récits, médiocrement représentées par le poète courtisan Venantius Fortunatus, qui trouvait le moyen de célébrer dans ses vers les vertus et la beauté de ces barbares sanguinaires à la chevelure frottée de beurre. On est effrayé du nombre de choses qu’il faut avoir vues et comprises pour saisir au vif de pareils caractères, tant il est vrai que l’extrême civilisation touche souvent de près à l’extrême barbarie. Ce livre, si complet par lui-même, s’ouvre par une vaste introduction qui est à elle seule un ouvrage, et qui marque le progrès de l’esprit critique chez M. Thierry, comme les Récits marquent les progrès de son talent de narration. Toutes les questions qui l’avaient agité dans sa jeunesse reviennent y prendre leur place, mais mûries, développées et agrandies. Sans chanter la palinodie, l’historien reconnaît et corrige ce qu’il pouvait y avoir d’excessif dans ses premières vues ; il rend justice à ses devanciers et guérit les blessures qu’il avait faites autrefois à leurs vieilles réputations. La question des communes s’y représente enrichie de nouveaux aperçus, et enfin l’écrivain y reprend, sans la résoudre encore d’une manière bien positive, la longue controverse des origines de la nation française,