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avec l’évêque contre le seigneur, là enfin contre tous les deux. Ici le roi était intervenu, là il avait laissé faire, là enfin il avait empêché. En un mot, cette révolution s’était produite avec la variété que devait revêtir toute révolution dans un temps où tout était essentiellement varié et individuel. Sans doute là est le point de vue véritable des révolutions communales, et M. Thierry l’adopta plus tard dans ses Considérations sur l’histoire de France, en y ajoutant un élément inaperçu jusqu’alors, celui de la ghilde germanique. Il n’en est pas moins vrai qu’en rayant de l’histoire de France ce mot banal, affranchissement des communes, il avait déjà planté bien loin le premier jalon des découvertes, et il n’est pas bien sûr que M. Guizot lui-même eût été amené à un examen aussi approfondi de cette question, si M. Thierry n’en eût fait la pierre angulaire des origines du tiers-état. Ainsi a-t-il été en tout, un grand éclaireur historique.

Ce sont en somme des vérités entrevues, des hypothèses même souvent vérifiées plusieurs siècles après, qui font avancer le monde. Je conviendrai du reste que, même en se plaçant au point de vue de M. Thierry, tout n’était ni admirable ni rassurant dans la tentative de ces précurseurs des libertés modernes. Il passe sur l’histoire de ces petites républiques un nuage sanglant, qui, grossi à travers les siècles de toutes les haines des opprimés, n’éclate que trop visiblement dans l’horrible tempête de 1793. Que de violences, que de faiblesses déjà, que d’enthousiasmes suivis d’inconcevables affaissemens, que d’aspirations de dévouement aboutissant à une soif ardente de richesse et de repos, que d’épouvantails en un mot pour l’avenir ! Sans doute une liberté qui de la commune eût remonté graduellement jusqu’au centre du pouvoir eût pu devenir une liberté féconde pour l’avenir ; mais la révolution communale, uniquement dirigée contre la féodalité, emprunta à son mouvement un caractère essentiellement borné et local. Pourquoi la pensée ne vint-elle pas à ces bourgeois insurgés de chercher aide et secours parmi leurs pareils, et pourquoi demandèrent-ils à la royauté un appui qui devait devenir une tyrannie ? C’est que, de toutes les idées politiques, la plus simple, l’association des intérêts, est aussi la dernière qui se présente à l’esprit des hommes. Lorsqu’une fois le prévôt royal eut mis les pieds dans la commune, il n’en sortit plus. Il fallut que le roi voulût fouiller trop avant dans la bourse de ses sujets pour qu’il leur vînt l’idée d’une résistance collective. Quand les états-généraux furent convoqués, il était trop tard. La royauté, entourée de ses légistes et du parlement, avait déjà pour elle la force, la science et l’unité. La centralisation était déjà créée, et derrière elle marchait à pas rapides le pouvoir absolu, effaçant avec l’aide des bourgeois eux-mêmes les derniers vestiges de la liberté.