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Je le répète, M. Thierry trouvait dans sa passion pour l’exactitude des détails et pour la vérité des couleurs le contre-poids naturel de la fougue un peu aventureuse de son esprit. Ce fut donc pour lui un grand bonheur que d’avoir été amené à la véritable méthode historique : le récit des faits. À cette époque, un triste événement, en lui fermant toute carrière active, vint changer en nécessité la tendance naturelle de son esprit. Dans l’ardente préoccupation qui le dominait, il ne s’était point aperçu qu’il avait demandé à ses forces physiques plus qu’elles ne pouvaient lui donner. Il paya cher le beau succès de son livre ; ses yeux s’étaient usés au travail. Tout le monde a lu avec l’émotion que commande un pareil malheur si noblement supporté le récit des dernières impressions, des dernières jouissances que lui ait procurées le sens de la vue. Un voyage dans le Midi, un repos aussi complet que pouvait le supporter l’activité intellectuelle de M. Thierry, rien ne put conjurer le danger. Une maladie nerveuse, qui devait aboutir bientôt à une complète paralysie, vint s’ajouter à une complète cécité. L’histoire de la conquête normande terminait à peine son beau voyage dans le monde littéraire, que M. Augustin Thierry était pour jamais condamné à une complète inaction ; mais à peine aussi cette calamité était-elle venue contrister ses amis et le public, que M. Thierry protestait déjà contre sa triste destinée par de nouveaux travaux, montrant ce que peut « une âme maîtresse du corps qu’elle anime. » En 1827, deux ans environ après la Conquête d’Angleterre, parurent de nouvelles Lettres sur l’Histoire de France, que M. Thierry publia avec les premières dans un même volume. Rien n’avait pu altérer sa passion rétrospective pour les énergiques bourgeois du moyen âge, et il voulut raconter leurs luttes et leurs efforts en faveur de la liberté. Un témoin oculaire des révolutions communales n’y eût pas mis plus de vivacité. On a beaucoup travaillé depuis sur le même sujet ; qu’est devenue après tout cette grande question, reprise par des esprits moins ardens que celui de M. A. Thierry ? M. Guizot, rencontrant devant lui, quelques années plus tard, cette histoire des origines du tiers-état, y a porté toute la largeur de sa méthode et cette finesse d’aperçus qui saisit la vérité sous ses faces les plus diverses ; il a très bien prouvé que l’histoire sanglante des communes de Laon, de Beauvais et de Vezelay n’était pas le type uniforme des révolutions communales. Quelques villes avaient toujours gardé des vestiges du régime municipal romain ; d’autres l’avaient retrouvé vivant dans les républiques d’Italie et l’avaient restauré sans opposition ; d’autres avaient obtenu des rois des garanties sans libertés, d’autres des libertés sans garanties ; ici la commune s’était faite d’accord avec le seigneur et l’évêque, là