Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/383

Cette page a été validée par deux contributeurs.

avait dominé ; Clovis eut la pensée de le ressusciter au profit des conquérans germains. Les temps n’étaient pas mûrs ; ils ne le furent même jamais pour la réalisation de cette pensée, que Charlemagne, un autre Germain, ne put imposer au monde qu’un instant ; mais si cette domination fut éphémère, elle laissa empreinte à jamais dans les esprits l’idée de la supériorité de la race franque sur les autres races germaines, et cette idée, agrandie par Charlemagne et reprise plus tard par les rois de la troisième race, n’a pas pesé d’un poids médiocre sur les destinées de la Gaule. L’autorité disparut, l’opinion demeura et refit, aidée par les armes et la politique, ce que l’autorité avait perdu. Les historiens anciens n’avaient donc pas complètement faussé l’histoire. Ce qu’ils avaient faussé, c’était la couleur historique, et c’est ce que M. Thierry nous a rendu. Si l’on en doute, qu’on ouvre le moindre livre contemporain sur notre histoire nationale, et qu’on le compare à ceux qu’on mettait, il y a quarante ans, entre les mains des enfans. La différence saute aux yeux : à qui est due cette vérité de couleur dans la peinture des temps barbares, si ce n’est à M. Thierry ? Que des études nouvelles aient modifié ou remplacé même un grand nombre de ses points de vue, peu importe. Les grands fleuves laissent parfois déborder leurs eaux ; mais eux seuls les portent d’un cours rapide vers la mer.

Depuis le jour où M. Thierry, fermant l’Histoire d’Angleterre de Hume, s’était écrié : « Tout cela date d’une conquête ; il y a une conquête là-dessous, » l’histoire de cette conquête s’était lentement ébauchée dans son esprit. Des loisirs qu’il regretta d’abord le ramenèrent à son sujet de prédilection. Mal lui en prit cependant d’avoir fait confidence au public de son exclamation : elle a dicté d’avance l’arrêt qui condamne son livre à n’être que la plus brillante et la plus éloquente des histoires systématiques. En vain a-t-il pris soin d’élaguer successivement de son travail tout ce qui pouvait donner prise à cette critique, en vain suffit-il d’ouvrir le livre pour voir qu’il n’éternise nullement la résistance des Anglo-Saxons : il est condamné de par son titre et de par ses propres aveux. On ne fut pas aussi frappé de ce défaut quand on lut le livre pour la première fois ; c’est depuis que l’auteur l’a corrigé qu’on est devenu plus sévère. Il y a une bonne raison pour cela : c’est que si l’Histoire de la Conquête d’Angleterre est le plus connu des ouvrages de M. Thierry, il est peut-être aussi le moins lu. C’est un de ces livres qu’on achète et qu’on se reprocherait de ne pas avoir sur les rayons de sa bibliothèque ; mais le nombre de ceux qui l’ont lu depuis vingt ans est fort restreint. D’abord c’est un livre de longue haleine, où la vie de toute une époque et de plusieurs peuples est tracée à grands traits avec une juste mesure de détails, mais où se meuvent