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oublier, et il les a présentés au public avec quelques pages d’introduction où respire son âme tout entière, et qui les expliquent et les justifient. Entre ces souvenirs, écrits dans la maturité de l’âge comme du talent, et des pages où le jeune écrivain cherche encore sa manière, il y a un contraste visible de forme et quelquefois de pensée ; mais il y a une unité visible de sentimens et de conscience. Ce que M. Thierry voulait en 1817 avec l’inexpérience de la jeunesse, il le voulait encore en 1834, après l’expérience de la vie et de la souffrance. Il ne faut pas en effet se laisser prendre aux formes un peu vives de cette polémique inspirée par les besoins de chaque jour ; il faut aller droit aux grandes lignes d’opinion, car on n’a pas le droit de demander autre chose à un jeune écrivain, s’il les maintient avec loyauté. Ces grandes lignes et cette loyauté, Augustin Thierry ne s’en est jamais écarté. Ses aspirations étaient toutes pour la révolution française, et il ne cherchait pas à le cacher ; mais avec une forme un peu fougueuse et abrupte peut-être avait-il des idées plus conservatrices que bien des écrivains plus modérés que lui. Entre ceux qui ne concevaient pas pour la liberté d’autre forme que celle des institutions anglaises et ceux qui acceptaient tout de la révolution française, même le despotisme, M. Thierry sut prendre une position qui était alors originale. « À la haine du despotisme militaire, dit-il, fruit de la réaction des esprits contre le régime impérial, se joignait en moi une profonde aversion des tyrannies révolutionnaires, et, sans aucun parti pris pour une forme quelconque de gouvernement, un certain dégoût pour les institutions anglaises, dont nous n’avions alors qu’une odieuse et ridicule singerie[1]. » Certes le trait final dépassait le but ; mais cette ligne d’opinions était-elle donc si commune alors ? Révolutionnaire dans le présent, M. Thierry ne l’était pas dans le passé ; il ne méprisait point les tentatives libérales de nos pères, il aimait même la noblesse à sa manière, puisqu’il cherchait des ancêtres à la jeune liberté. Sa pensée aimait à vivre avec les âmes généreuses des bourgeois qui sonnaient le beffroi des communes insurgées, et revendiquaient dans les états-généraux et les parlemens les droits éternels de la justice ensevelis dans le chaos des invasions. Dans un temps où la France était ivre d’unité et de centralisation, il avait donné de fréquens et sincères regrets aux libertés locales et municipales ; il avait gémi de voir la main envahissante de l’état s’étendre de plus en plus sur la France ; il avait compris que la sève de la liberté ne doit pas descendre du faîte de l’arbre aux racines, mais monter des racines au faîte. Il entrevoyait le danger que nous courions, « placés que

  1. Dix Ans d’Études historiques, préface.