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vaient aller chercher le baptême du talent et du bon goût presque tous les écrivains illustres de nos jours. Il aimait à raconter plus tard, avec une merveilleuse vivacité de souvenirs, ces premières impressions d’une vie à la fois si calme et si remplie, où tant d’hommes éminens prenaient le temps de tremper leurs armes avant le combat. Entassés dans les murs délabrés de l’ancien collège du Plessis, les élèves de l’école étaient à peu près livrés à eux-mêmes. Ils faisaient ce qu’ils voulaient, mais ils voulaient beaucoup. Tout respirait dans ce studieux asile, débris des anciennes fondations universitaires, une simplicité vraiment primitive, et Augustin Thierry rappelait en souriant combien lui coûtaient les ablutions matinales qu’il fallait faire, au cœur de l’hiver, sous une pompe glacée au milieu de la cour. Il avait vu ce point d’arrêt où la génération nouvelle, ayant encore un pied dans le XVIIIe siècle, commençait à regarder en avant. M. Royer-Collard élevait une voix grave, mais encore peu écoutée, à la Sorbonne, où les jeunes gens se pressaient pour entendre la parole claire et brillante de La Romiguière. Tout était si nouveau et si ardent dans le mouvement intellectuel de cette génération, que les idées de l’avenir semblaient un patrimoine commun, et qu’on ne s’étonnait guère de voir des maîtres presque aussi jeunes que leurs élèves. M. Thierry s’honorait d’avoir appartenu à cette école et d’y avoir eu de tels amis, et lui qui devait tant innover n’avait pas la prétention de ne rien devoir à ses maîtres. Au sortir de l’École normale, il professa quelque temps en province ; mais déjà le canon des étrangers retentissait aux frontières, et bientôt la chute de l’empire et la restauration des Bourbons ouvrirent aux lettres des perspectives plus brillantes. L’amitié et la renommée déjà éclatante de ses maîtres appelaient Augustin Thierry à Paris, et il y revint cette année même de 1815.

Alors commençait en France ce régime de liberté modérée si souvent contesté, mais que la force des choses imposait cependant à ses ennemis : le malheur voulut que personne ne s’en tînt satisfait. Tout commandait une sérieuse défiance à des hommes dont les plus jeunes avaient pu voir en si peu de temps la liberté noyée dans le sang et remplacée presque sans lutte par le despotisme ; mais la violence de la résistance appela la violence de l’attaque ; on se jeta dans la liberté comme dans une ville prise d’assaut. Après une longue oppression, il fallait respirer à tout prix, et la restauration eut ainsi plus d’une fois à porter le poids de fautes qui ne furent pas les siennes. On peut le dire cependant aujourd’hui, un gouvernement qui vit naître sans l’étouffer une pareille explosion de liberté n’était pas un gouvernement d’oppression : on le croyait alors, car on n’avait pas encore appris ou on avait trop vite oublié le sens et l’étendue réelle de ce mot. Tous ceux dont les cheveux ont