Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/37

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— La vérité ! dit Christian en riant ; ne dirait-on pas que je l’ai cachée à votre excellence ? Je n’ai pas eu l’honneur de vous voir aujourd’hui, signor Puffo, et, quand je vous aurais vu, je ne sache pas avoir à vous rendre compte…

— Je veux savoir qui s’est permis de toucher à mes marionnettes !

Vos marionnettes, qui sont à moi, vous avez l’air de l’oublier, vous le diront peut-être ; questionnez-les.

— Je n’ai pas besoin de les questionner pour savoir qu’un individu s’est permis de me remplacer, et de gagner apparemment mon salaire à ma place.

— Quand cela serait ? Étiez-vous en état de dire un mot hier soir ?

— Il fallait au moins m’essayer ou me prévenir.

— C’est un manque d’égards dont je me confesse, répondit Christian impatienté, mais je l’ai fait exprès pour résister à la tentation de vous corriger, comme vous le méritiez, de votre ivrognerie.

— Me corriger ! s’écria Puffo en s’avançant sur lui d’une manière menaçante. Allons-y donc un peu ! Voyons ! — Et en même temps il brandit sur la tête de son patron une marionnette en guise de massue. L’arme, pour être comique, n’en était pas moins dangereuse, la tête du burattino étant faite d’un bois très dur, pour résister aux batailles de la scène. En tenant la figurine par son jupon de peau et en la faisant voltiger comme un fléau, Puffo, en colère, pouvait et voulait peut-être briser le crâne de son adversaire. Christian saisit la marionnette au vol, et, de l’autre main, prenant Puffo à la gorge, il le renversa à ses pieds.

— Maudit ivrogne, lui dit-il en le tenant sous son genou, tu mériterais un solide châtiment ; mais il me répugne de te frapper. Va-t’en, je te donne ton congé, je ne veux jamais plus entendre parler de toi. Je t’ai payé ta semaine d’avance et ne te dois rien ; mais comme tu l’as peut-être déjà bue, je vais te donner de quoi retourner à Stockholm. Lève-toi, et n’essaie plus de faire le méchant, ou je t’étrangle.

Puffo, un peu meurtri, se releva en silence. Ce n’était pas une nature d’assassin. Il était humilié et abattu. Peut-être sentait-il son tort ; mais il avait surtout une préoccupation qui frappa Christian : c’était de ramasser une douzaine de pièces d’or qui s’étaient échappées de sa ceinture, et qui avaient roulé avec lui sur le plancher.

— Qu’est-ce que cela ? dit Christian en lui saisissant le bras : de l’argent volé ?

— Non ! s’écria le Livournais en élevant la main avec un geste héroïque assez burlesque, je n’ai rien volé ici ! Cet argent-là est à moi, on me l’a donné !

— Pourquoi faire ? Allons, parle, je le veux !