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protestante? Nullement; nous voulons dire qu’on en permet la propagation, que les catholiques, assistés de leurs coreligionnaires étrangers, peuvent y fonder des églises, y tenter des conversions, et faire pénétrer leur culte là même où il n’existait pas. Et quelle est cette intolérance de la Suède, qu’on flétrit parmi nous avec une conscience si tranquille, et à laquelle nous jetons si volontiers la première pierre? Nous reprochons à la Suède de ne pas souffrir que quelques catholiques, ouvertement soutenus, et à bon droit, par l’opinion et par l’appui pécuniaire de toute l’Europe catholique, s’efforcent d’opérer des conversions dans le royaume et de faire sortir les habitans de la religion nationale pour les attirer à l’église de Rome. Voilà comment nous concevons et comment nous cherchons à pratiquer la liberté des cultes à l’étranger, et en théorie nous l’entendons de même chez nous. Il n’est personne qui n’accorde en principe au curé le droit d’entamer, s’il le peut, le troupeau du pasteur, et au pasteur le droit de conquérir le troupeau du curé. Il n’est personne qui ne reconnaisse en principe à la prédication et au prosélytisme la même inviolabilité qu’aux cérémonies et aux prières. Tout le monde comprend qu’un culte qui veut s’implanter où il n’existe pas doit commencer par se faire connaître, qu’avant de se pratiquer il lui faut s’établir, et qu’il doit faire des convertis avant d’avoir des fidèles. D’où vient cependant que l’exercice de ce droit incontestable et incontesté de chercher à convertir, exercé avec modération et dans les circonstances les plus favorables, a de tout temps, dans notre pays, rencontré sur son chemin le refus de l’autorisation préalable, le maire et les gendarmes?

D’une cause bien simple, mais aussi certaine et aussi inflexible dans ses effets qu’une loi de la nature. Figurez-vous un homme — chargé de surveiller le mouvement d’une machine délicate et puissante — responsable de tous les accidens qu’elle peut causer, et donnez-lui en même temps l’absolu pouvoir d’en suspendre à son gré l’activité et de la rendre immobile : c’est un héros, s’il la laisse marcher plus d’un quart d’heure. Voici des enfans qui jouent et qui luttent; un maître les surveille, chargé d’empêcher tout malheur. Qu’il ait le droit de les contraindre à se séparer et à ne plus bouger, c’est un saint si vous ne les voyez bientôt isolés, enchaînés, hors d’état de remuer et de se nuire. Et si vous avez espéré un autre résultat d’un pouvoir si mal placé, vous êtes coupable d’une extrême imprévoyance, car il n’est pas de lois plus absurdes ni plus redoutables que celles qui ne peuvent être sainement appliquées que par des héros ou par des saints. L’idéal naturel et légitime d’une administration quelconque, c’est le statu quo, c’est la paix et le silence, c’est le contraire du mouvement et de l’inquiétude, inséparables de