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l’autorité, il lisait l’Écriture sainte, faisait des prières, et s’efforçait surtout de convertir ses auditeurs à ses croyances. Nul ne l’interrompait; il n’y avait aucune discussion entre l’évangéliste et le public, et il n’était jamais question de politique. Il n’était donc pas facile de confondre cette réunion avec un club. C’est ce que fit pourtant un jugement du tribunal correctionnel de la Seine, qui fit application à M. Pilatte du décret du 28 juillet 1848 sur les clubs, et le condamna à l’amende, non pour avoir tenu dans ce club aucun propos qui pût être incriminé, mais pour y avoir admis des femmes et des mineurs, contrairement à l’article 3 de ce décret. Ce jugement fut confirmé par la cour d’appel et par la cour de cassation. La condamnation entraînait la fermeture de la réunion. Si cette législation avait duré, il serait résulté de cet arrêt cette bizarre doctrine, que la réunion religieuse ayant pour but spécial la prédication et la conversion des auditeurs est licite en qualité de club à la condition que les femmes et les mineurs en soient exclus. On eût ainsi puissamment entravé la diffusion des cultes, qui ne peuvent se passer de faire entrer les femmes et les mineurs dans le cercle de leurs exhortations; « laissez venir à moi les petits enfans, » disait le Christ, que n’eût pas manqué d’atteindre cette extension singulière, mais trop facile à prévoir, du décret sur les clubs.

On pouvait donc s’attendre à voir renaître la lutte accoutumée entre les deux articles rivaux. Cette fois les chances étaient moins inégales. L’article 5 de la charte, devenu l’article 7 de la constitution républicaine, n’avait rien perdu à cette transformation, tandis que l’article 291 du code pénal, privé de son alliée la loi de 1834, était réduit à se cacher dans un coin de la loi sur les clubs, et n’avait plus de force que contre les femmes et les mineurs. Le temps manqua pour voir cet intéressant spectacle, et les deux adversaires subirent tout à coup une nouvelle et dernière incarnation. Après les événemens du 2 décembre, l’article 5 de la charte fut enveloppé avec plusieurs autres dans l’article 1er de la constitution du 14 janvier 1852. Cet article compréhensif déclare que « la constitution reconnaît, confirme et garantit les grands principes proclamés en 1789, et qui sont la base du droit public des Français. » Quant à l’art. 291 du code, il reparut plein de force et d’avenir dans l’art. 2 de l’important décret du 25 mars 1852, rendu par le prince-président, investi alors de la plénitude du pouvoir législatif. Cet article est ainsi conçu : « Les articles 291, 292 et 294 du code pénal, et les articles 1, 2 et 3 de la loi du 10 avril 1834 seront applicables aux réunions publiques, de quelque nature qu’elles soient. » Cela parut assez clair, et il sembla que la lutte était définitivement terminée entre le principe de la liberté des cultes et le régime de l’autorisation préalable. Elle l’était