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à leurs frais, et dont l’article 294 leur ferme légalement la porte. De plus, l’arrêté municipal qui lève l’obstacle de l’article 294 peut être régulièrement cassé par le préfet, comme cela vient, dit-on, d’arriver à Maubeuge, et alors à quoi sert d’être théoriquement dispensé de l’autorisation exigée par l’article 291? Enfin cette décision du conseil d’état établit entre les cultes reconnus, c’est-à-dire salariés, et les cultes non reconnus, une distinction ignorée de nos constitutions, mais familière à nos tribunaux, et qui anéantit la liberté des cultes dans son application aussi bien que dans son principe. Cette décision n’affaiblit en rien d’ailleurs la portée des arrêts de la cour de cassation, qui n’affranchissent des dispositions de l’article 291 que les réunions religieuses «temporaires, accidentelles, non préméditées, n’ayant pas un but déterminé, » si bien qu’il suffit d’annoncer qu’on se réunira le dimanche suivant, et que le but de la réunion est de convertir les auditeurs, pour tomber expressément sous le coup de l’article 291. On peut donc dire de ces décisions et de ces arrêts, moins défavorables que les autres en apparence à la liberté religieuse, qu’ils établissent pour les cultes reconnus des nuances dans le régime préventif, mais qu’ils n’en altèrent nullement la rigueur ni l’efficacité. Quant aux cultes non reconnus, dont la situation est la véritable mesure de la liberté religieuse, ils n’ont rien à voir dans tout cela, et l’arrêt définitif du 7 janvier 1848, qui frappe les baptistes de l’Aisne, est à leur égard le dernier mot du gouvernement de juillet.

Si cependant le régime de l’autorisation préalable était alors fermement établi dans la loi, il n’était pas accepté par l’opinion, et suscitait jusque dans la chambre des pairs d’éclatans désaveux. « La jurisprudence, disait éloquemment à ce sujet l’organe le plus autorisé de l’opinion libérale en France, M. Le duc de Broglie, la jurisprudence paraît désormais fixée en sens inverse de la pensée des rédacteurs de l’article 5 de la charte. Il suit de là qu’aujourd’hui en France : premièrement, aucun culte ne peut exister, s’il n’est établi par la loi ou autorisé par l’administration, laquelle peut refuser l’autorisation, si elle le juge convenable, y mettre telle condition que bon lui semble et la révoquer quand elle l’a accordée; secondement, que le culte même autorisé par l’administration ne peut être exercé dans une localité quelconque sans la permission de l’autorité municipale, qui peut refuser cette permission et paralyser par là le vœu de la loi et l’autorisation de l’administration supérieure. C’est là l’état des choses... Je n’ai pas encore appris comment il m’était possible de concilier cet état de choses avec un article de la charte qui établit la liberté des cultes. Je ne crois pas que, quand l’article 5 de la charte a dit que chacun en France professait librement sa religion