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Combien de châtimens et d’humiliations nous faut-il encore pour être guéris de ces excès de résignation et de ces excès d’espérance?

Le concordat et les articles organiques sont les fondemens de notre législation sur les cultes; c’est leur charte pour ainsi dire, et il est important de rappeler dans quel esprit elle fut conçue. L’utilité publique en est le premier principe; il ne s’agit pas du droit qu’ont les citoyens de professer une religion, mais de l’intérêt de l’état, qui exige impérieusement qu’ils en aient une et qu’ils la professent; il ne s’agit pas des libertés qu’ils pourraient réclamer pour l’exercice de leur culte, mais des garanties que l’état doit se ménager pour éviter qu’on dispose des consciences sans son aveu. En un mot, l’état veut bien admettre dans son sein la religion, parce qu’il la croit utile, et il se montre jaloux de la protéger, parce qu’il est décidé à la conduire.

Rien n’est plus sincère d’ailleurs que le langage du gouvernement d’alors à cet égard; Portails ne fait point mystère de ses principes, et il en tire les plus justes conséquences. Si l’état désire le rétablissement du culte et veut y concourir, c’est que « les lois de Minos, de Zaleucus, celles des douze tables reposent entièrement sur la crainte des dieux; » c’est que « Cicéron, dans son traité des Lois, pose la Providence comme base de toute législation; » c’est enfin que «Platon rappelle à la Divinité dans toutes les pages de ses ouvrages. »

Reconnaissant ainsi qu’il ne peut se passer d’une religion, l’état doit-il se mettre en quête de la meilleure ou de la seule vraie et la choisir? Cette recherche serait difficile, et d’ailleurs peu importa que les religions soient vraies, pourvu qu’elles répondent aux besoins de l’état. « Les religions même fausses, dit sincèrement Portails, ont au moins l’avantage de mettre obstacle à l’introduction des doctrines arbitraires ; les individus ont un centre de croyances; les gouvernemens sont rassurés sur les dogmes une fois connus qui ne changent pas; la superstition est, pour ainsi dire, régularisée et resserrée dans des bornes qu’elle ne peut ou qu’elle n’ose franchir. » Voilà le dernier mot du concordat, voilà au fond la pensée vraiment politique et éminemment française qui l’a inspiré. Avoir sous la main une religion centralisée comme tout le reste, des dogmes qui ne changent pas et qui puissent servir de barrières contre toutes les nouveautés, régulariser les croyances et surtout les immobiliser, les figer, pour ainsi dire, dans la forme où l’état les a jugées le plus acceptables, tel était le but du concordat, tel était son vrai mérite aux yeux d’un gouvernement qui voyait dans l’organisation et la discipline la fin suprême des sociétés humaines, et qui nous a si bien organisés et disciplinés que son œuvre