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mourait de faim, comme si elle eût été abandonnée dans une île déserte. Ménine s’arrêta un instant, questionna les enfans, et, les voyant si misérables, elle pensa qu’elle trouverait là, sinon du pain, du moins un abri ; elle entra et offrit ses services. Les deux fiévreux, éloignés du monde, ignoraient ce qui s’était passé au château. C’était une bonne fortune inespérée pour eux d’avoir dans la maison une fille vigoureuse et intelligente qui consentait à les soigner et à cultiver les champs. Ils accueillirent la demande, sans trop comprendre ce qui poussait cette jeune fille à accomplir cet acte de charité.

Pendant que Ménine se cachait dans la partie la plus déserte de Panjas, Janouet se cachait dans le château de La Roumega. Les aveux de Blasion et de Saint-Jean, la déclaration du brigadier, ne permettaient pas de douter de l’innocence de Janouet. Il était revenu auprès de la vieille dame, qui n’avait pas tué le veau gras en l’honneur de ce retour. Lorsqu’elle vit rentrer son fils, cette étrange femme ne manifesta ni joie ni colère, elle continua à tricoter. Janouet alla s’asseoir auprès du feu. Des étrangers eussent pensé qu’il revenait d’une courte promenade. Le souper fut silencieux, et la mère et le fils allèrent se coucher sans avoir échangé une seule parole. Le lendemain, Janouet parut inquiet. Il regardait sans cesse du côté de la porte comme s’il eût espéré voir entrer quelqu’un. Enfin, ne pouvant vaincre son inquiétude, il vint me trouver dans le chaix et me demanda où était Ménine. Je lui dis que sa mère l’avait chassée ; alors il cacha sa figure avec ses mains et se mit à pleurer. Au milieu de ses sanglots, il me conjura de faire des recherches et de lui indiquer où elle s’était réfugiée. « Ma mère ne consentira jamais à la reprendre, me dit-il ; mais là où Ménine ira, j’irai ; je me ferai valet s’il le faut, je ne puis vivre sans elle. » La jeune fille s’était si bien cachée que je fus longtemps avant de savoir où elle s’était retirée. Quelques méchantes langues avaient répandu le bruit qu’elle était allée à Bordeaux ; aussi Janouet, désespérant de la revoir jamais, tomba dans un abattement profond qui devait détruire pour toujours sa raison et sa santé. Cette nature robuste dépourvue d’intelligence avait toujours eu besoin qu’une volonté étrangère vînt lui donner une force d’impulsion. La drôle d’abord et Saint-Jean ensuite avaient exercé sur lui chacun une influence différente, mais qui l’avait arraché à sa torpeur. Livré à lui-même, il ne sut que faire de la vie qui débordait en lui. Sa mère eût pu le sauver ; mais cette âme étroite ne pouvait pardonner à son fils l’indépendance qu’il avait montrée dans les derniers temps. Heureuse de cette prostration qui consacrait son pouvoir absolu, elle ne lui adressait la parole que pour lui reprocher ses fautes passées et faire des allusions grossières à la peine qui atten-