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abritée sous un hangar, droite et immobile comme une statue. Toute son attention semblait concentrée sur la pluie, qui tombait avec violence. Je m’approchai d’elle, et, souriant tristement, elle me dit : — Eh bien ! me voilà encore sur les grands chemins. — La croyant désespérée, j’essayai de lui rendre un peu de courage ; mais, repoussant toute pitié : — Je suis jeune, dit-elle avec énergie, j’ai de bons bras, je saurai gagner mon pain. — Cette énergie devait être mise à une rude épreuve.

Dans la première maison où elle se présenta, la maîtresse l’arrêta au seuil. — Va-t’en ! lui dit-on, va-t’en, mendiante et fille de sorcière, va retrouver les voleurs, tes amans ! Nous ne voulons pas ici de mains sanglantes ! — Et comme elle ne s’en allait pas assez vite au gré de la maîtresse, celle-ci appela ses chiens et les excita contre la suppliante. C’est ainsi qu’elle fut accueillie dans deux autres maisons. Tous ceux qui la rencontraient détournaient la tête. N’ayant pu trouver un asile, mourant de faim, elle se dirigea le soir vers la cabane où sa mère était morte. Le toit s’était effondré, la charpente et les murs, en partie écroulés, disparaissaient sous les herbes et sous les broussailles ; mais elle retrouva la pierre du foyer, où elle s’assit. Le froid et la peur des loups la tinrent éveillée. — Je passai une nuit bien dure, dit-elle plus tard ; on m’avait appris pendant la journée l’arrestation de Blasion. J’avais tout deviné. En voulant sauver l’un, j’avais perdu l’autre.

Le lendemain, elle quitta cette ruine et résolut de s’éloigner de la commune, espérant rencontrer un accueil moins rude chez des inconnus, mais elle s’aperçut que partout son histoire l’avait précédée. Toutes les portes se fermaient devant elle, et vers le soir il lui fallut de nouveau se diriger vers son gîte délabré. Le courage commençait à lui manquer, et, lasse de ne rencontrer que des visages ennemis, elle prit les chemins les plus déserts. Après avoir traversé des landes et des marécages et côtoyé un long étang, elle arriva près d’une maison qui n’était guère moins en ruine que la maison du Catalan. Des champs en friche l’entouraient, des enfans en guenilles se roulaient devant la porte, deux bœufs décharnés paissaient sur le chemin quelques brins d’herbe desséchée. La misère était dans cette maison. Le maître, vieillard paralytique, avait un fils et une bru, tous deux dans la force de l’âge et capables de cultiver le petit bien ; mais, depuis près d’un an, la fièvre des marais s’était jetée sur eux, et, vaincus par la maladie, ils étaient étendus sur un grabat. Les enfans, livrés à eux-mêmes, erraient çà et là, mendiant leur pain dans les métairies et se nourrissant le plus souvent de racines volées dans les champs. La charité peu active des paysans ne songeait pas à aller secourir cette pauvre famille, qui se