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qui, moyennant vingt pistoles par an, devait le loger et le nourrir. À la vérité, Mme de La Roumega fournissait la graisse nécessaire à la soupe et devait envoyer trois sacs de blé et deux sacs de milloc par an ; il y avait aussi une redevance de chapons et de volailles que je ne me rappelle plus bien. Après avoir assuré ainsi la nourriture du corps, elle me chargea, avec toute la mauvaise grâce possible, de payer la rétribution due au lycée dont Janouet devait suivre les cours ; ce ne fut pas sans protester que tout cela était autant d’argent perdu. Janouet pleura fort quand il partit ; ce n’était pas sa mère ni le château qu’il regrettait, mais bien Ménine qui, elle aussi, avait le cœur très gros.

Ce fut après son départ que Blasion entra au château comme bouvier. Blasion était le jeune garçon qui gardait les brebis dans la lande, lorsque je rencontrai Ménine pour la première fois ; c’était le fils de cette veuve qui avait recueilli l’orpheline après la mort de Catinon. Il était d’une année plus âgé que la drôle, grand, bien tourné, laborieux, honnête envers ses supérieurs, mais un peu froid avec ses camarades. Il ne me fut pas difficile de m’apercevoir que celui-là aussi aimait Ménine, et que celle-ci ne décourageait pas cet amour, quoique avec Blasion elle se comportât tout autrement qu’avec Janouet. Autant elle était familière et presque tendre avec celui-ci, autant elle se montrait réservée avec l’autre ; on voyait cependant qu’elle prenait plaisir à le voir et à causer avec lui, et c’était toujours ensemble qu’ils revenaient de la messe le dimanche. Je la plaisantai un jour sur son nouveau galant et lui demandai quand ils comptaient faire la noce. Je croyais l’embarrasser et la troubler, car les filles nient volontiers ces sortes de liaisons ; Ménine, bien que rougissant un peu, se mit à rire. Nous essayâmes aussi de tourmenter Blasion à ce sujet, mais nous ne le trouvâmes pas d’aussi bonne composition : il nous répondit d’un ton rogue que ce qui se passait entre lui et Ménine ne nous regardait pas, et qu’il n’y en avait pas un seul de nous qui valut assez pour oser songer à elle.

Pendant qu’on lui prenait ainsi le cœur de sa belle, Janouet était à Pau. Ce qu’il y faisait, nous ne l’avons jamais bien su. Ce qui est certain, c’est qu’il n’étudiait pas. Tous les ans, j’allais lui porter de l’argent et des provisions ; il me recevait le plus souvent dans des auberges et dans des cafés, en compagnie de faux messieurs qui paraissaient mener une vie assez gaie. Ses dépenses excédaient évidemment de beaucoup les sommes que sa mère lui envoyait, et nous ne sûmes que bien plus tard comment il faisait pour se procurer de l’argent.