Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/330

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hardiment son regard franc et naïf avec le regard haineux et méchant de la vieille. Elle ferma les mains convulsivement ; mais toute cette grande colère s’en alla dans un soupir : « Il faut savoir souffrir quand on est chez les autres, » dit-elle, et elle s’en alla.

Cette patience irritait encore la mégère. Comme les méchantes fées, elle prenait plaisir à la surcharger de travail et à lui donner des tâches impossibles. C’était en vain. La vaillante jeune fille se piquait au jeu, et accomplissait comme par enchantement tous les ordres qu’on lui donnait. On la faisait veiller jusqu’à onze heures du soir, lever à trois heures du matin, piocher, bêcher, brouetter, battre au fléau, et chaque matin elle semblait plus fraîche, plus grande, plus forte. La santé, la vigueur, la gaieté, débordaient de cette riche nature. Voyant que tout réussissait à Ménine, la vieille dame revint à ses premières idées de sorcellerie. Une chose l’effrayait surtout, c’est que par momens elle ressentait une sorte de tendresse pour cette pauvre fille, qui l’aimait malgré toutes ses duretés. Elle avait peur d’être sous le pouvoir d’un charme.

Le charme agissait bien plus franchement sur Janouet. Ménine était pour lui une ancienne connaissance. C’était avec elle qu’il avait passé ses meilleures journées dans les landes du Catalan. Il l’admirait depuis longtemps, et il ne croyait pas qu’il existât au monde quelque chose de plus beau que la petite sorcière. Il ne pouvait se passer d’elle ; quand il ne la voyait pas, il était inquiet ; il la suivait partout comme un chien. Ils s’aimaient tous deux, mais d’une façon différente. La drôle, qui était un peu plus âgée que Janouet, et qui savait l’empire qu’elle exerçait sur lui, le traitait un peu comme un enfant. Janouet l’aimait d’un tout autre amour. Ses sentimens affectueux, longtemps refoulés, avaient fait explosion. Il ne comprenait pas la vie sans Ménine, et elle lui était aussi nécessaire que l’air qu’il respirait. Sous l’influence de cette fille, son caractère changea. Il devint plus gai, plus expansif ; son intelligence même parut se développer, et à seize ans il n’était pas beaucoup plus bête que les fils des métayers voisins. Il est vrai qu’il n’était pas beaucoup plus instruit qu’eux. Il savait lire tant bien que mal, mais sa main, paresseuse à écrire, aimait mieux tracer un sillon qu’une page d’écriture. Ce fut alors que le curé intervint avec quelques grands messieurs du pays. On fit observer à Mme  de La Roumega que son fils devait être un jour un des plus grands propriétaires de la contrée, et qu’il n’était pas convenable de le laisser dans un pareil état d’ignorance. On lui persuada à grand’peine de l’envoyer dans un collége. Elle y consentit enfin, mais en prenant ses précautions pour que cette éducation lui coûtât le moins cher possible.

On l’envoya à Pau, et je fus chargé de le conduire chez une veuve