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lui parlait d’un grand loup blanc qui hantait les bois du château, elle tremblait. Si un de ses bœufs était malade, elle ne mandait pas le vétérinaire, elle faisait dire un évangile. Elle avait dans une armoire des vieux cierges consacrés qu’elle allumait la nuit quand les chouettes poussaient leurs gémissemens, ou quand les loups de l’étang, sur la piste de quelque proie, donnaient de la gorge de façon à faire dresser les cheveux sur la tête. L’avarice cependant plaida la cause de la pauvre Ménine. L’enfant se contenterait de sa nourriture, de quelques chemises, de vieux habits ; elle serait facile à conduire ; d’ailleurs elle pouvait n’être pas sorcière. La vieille dame me dit de la lui amener.

Le marché fut bien vite conclu. Il tardait à la pauvre fille d’avoir un abri et du pain assuré. Peut-être, comme elle était jolie et grande pour son âge, avait-elle appris déjà les dangers de sa position. Quand elle entra dans la maison, ce fut comme un rayon de soleil au milieu de ces figures froides et tristes. Elle était naturellement hardie, cette pauvre fille des grands chemins, et la vieille dame ne lui faisait pas peur. Elle tenait toujours fixés sur sa maîtresse ses deux grands yeux vifs et intelligens pour prévenir les ordres qu’on allait lui donner ; l’ordre reçu, elle partait, sautant, dansant, chantant, ne reculant devant aucune besogne, mettant son honneur à être utile et à faire bien ce qu’elle faisait. À peine installée dans la maison depuis quelques jours, elle la connaissait comme si elle y fût née, et elle abattait tant de besogne que la vieille dame n’avait plus à s’occuper que de ses bas. Cette activité et cette intelligence l’effrayèrent. Elle crut voir dans tout cela l’intervention du diable. Il y avait des momens où la petite lui inspirait une véritable terreur, et elle demeura quelque temps avant d’oser déployer vis-à-vis de sa servante le caractère acariâtre dont la nature l’avait douée ; mais bientôt le naturel prit le dessus, et elle se mit à la quereller. Il fut défendu à la pauvre enfant de chanter, de rire, de causer avec nous, et même de nous regarder. La vieille dame entreprit de lui enseigner la modestie. Il y avait dans un coin de la cuisine un fragment de miroir devant lequel la jeune fille perdait tous les jours quelques minutes à lisser ses beaux cheveux noirs et à les arranger coquettement sous un vieux mouchoir de coton jaune. Elle fut surprise un jour qu’elle se souriait doucement à elle-même. La vieille dame cassa le miroir. Un autre jour, elle avait planté au coin d’un carré de choux quelques pieds de basilic. Cette herbe odorante a un grand attrait pour nos filles de campagne, qui en ont toujours quelque brin à leur corsage. La vieille dame, ayant aperçu cette plantation d’agrément qui déshonorait ses légumes, prit une bêche et saccagea le pauvre petit parterre. Cette fois la patience fut sur le point d’échapper à Ménine. Elle croisa