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darmes savaient vivre alors, et ceux-ci ne voulaient pas troubler la lune de miel.

Les meilleures plaisanteries n’ont qu’un temps. Laroque fut obligé de se cacher sérieusement, et un soir qu’il avait fait galoper les gendarmes, il alla se réfugier au milieu des roseaux d’un étang. On était en automne, il plut toute la nuit ; il rentra morfondu dans sa mauvaise cabane. La fièvre le prit ; au bout de peu de jours, il mourut, laissant sa femme chargée d’un enfant. Quelques mois après leur mariage, Gatinon avait mis au monde une petite fille qu’on appela Ménine. Elle eut une rude enfance, la pauvre petite ; elle ne mangea pas toujours assez de pâte de maïs pour apaiser sa faim, et reçut de sa mère plus de coups que de baisers. Après la mort de son mari, la Gatinon devint tout à fait une mauvaise femme. Elle trempait la soupe aux contrebandiers et aux voleurs, et allait, dit-on, au sabbat. Elle ne s’en cachait pas et racontait les belles danses qu’elle avait menées avec le vieux Satan. Vous en croirez ce que vous voudrez. Je dois cependant vous avouer que lorsqu’elle faisait ces récits, elle était généralement ivre, car elle s’était donnée au vin, et quand elle était dans cet état, elle frappait impitoyablement la pauvre petite Ménine. Aussitôt que l’enfant put marcher, elle lui mit une paire de besaces autour du cou et l’envoya mendier. La petite rentrait le soir avec quelques livres de pain que la mère vendait le plus souvent pour acheter du vin.

Quant à moi, à cette époque, je n’étais pas un mendiant, je travaillais ; mais après une grande gelée, le travail venant à manquer, je m’en allai du côté de Bordeaux chercher de l’ouvrage. Au bout de quatre ans, je revins dans le pays. C’était vers le milieu de novembre, il commençait à faire froid. En passant dans les landes du Catalan, j’aperçus dans un petit bois de chênes noirs trois enfans qui se chauffaient à un feu de broussailles et de feuilles sèches. Une douzaine de brebis maigres et deux beaux porcs cherchaient leur vie çà et là. Le groupe se composait de deux jeunes garçons et d’une petite fille, tous trois misérablement vêtus. La petite fille était encore plus déguenillée que les autres ; elle n’avait que quelques haillons sur le corps. Debout, auprès des garçons accroupis, elle attisait le feu avec un grand bâton de châtaignier. En même temps elle chantait d’une voix très douce une vieille complainte, et ses compagnons étaient si attentifs que les brebis et les moutons eussent pu s’envoler sans que leurs maîtres eussent daigné s’occuper de cette étrange fuite. Je m’arrêtai pour l’écouter, et, en la regardant, il me sembla que je l’avais déjà vue. Elle avait des cheveux noirs longs et mal peignés qui retombaient en mèches épaisses sur ses pauvres petites épaules presque découvertes et bleuies parle froid. Son teint était hâlé, mais ses yeux brillaient comme deux diamans