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doit. Après tout, elle a acheté cet honneur assez cher pour que je ne le lui reproche pas.

Il était grand conteur de vieilles histoires et savait que je les aimais.

— Il y a une histoire ? lui demandai-je.

— Oui, dit-il, et il me raconta l’histoire de Mme  de La Roumega. Ce ne fut d’abord qu’un résumé ; mais, voyant qu’elle m’intéressait vivement, chaque fois qu’il me rencontrait, il y revenait et m’en rapportait un nouvel épisode. C’est ainsi que j’ai pu composer le récit qu’on va lire.

Ménine, me dit-il, naquit dans une maison que vous connaissez bien, car on en voit encore les ruines sur les hauteurs du Catalan, auprès des communaux de Panjas. Sa mère, qui avait été une jolie fille dans son temps, avait employé sa jeunesse à se faire une mauvaise réputation pour ses vieux jours. Son père, qui se nommait Laroque, ne valait pas beaucoup mieux. C’était un charpentier, à ce qu’on disait, mais nul ne se souvenait de l’avoir vu travailler. Je l’ai connu écarteur dans les courses de taureaux, sonneur dans les foires et les veillées, contrebandier, puis, il faut bien le dire, un peu voleur. Ce n’est pas qu’il arrêtât les gens sur le chemin du roi, mais nul mieux que lui ne savait vider un poulailler. Quand il y avait passé, le renard pouvait y venir, il s’en retournait le ventre creux ; bon homme au demeurant, mais aimant trop à boire. Quand vint la grande réquisition de 1792, il partit comme les autres, il se battit même en Espagne ; mais il se fit une affaire avec son capitaine, déserta et vint se réfugier dans le pays, espérant s’y cacher plus aisément.

À cette époque, la belle Catinon (c’est ainsi que s’appelait la mère de Ménine), avait fait construire dans les landes une cabane en terre et en bois, où elle se livrait à bien des métiers que n’aimait pas la gendarmerie. Beaucoup de gens prétendaient qu’elle tenait une auberge pour le diable, un bureau de poste pour la foire de minuit (le sabbat), car on la considérait comme sorcière. Le fait est que cette cabane était un entrepôt de contrebande et un refuge pour les contrebandiers, les réfractaires et les émigrés. Laroque venait souvent s’y chauffer la nuit. Il sut inspirer à la belle Catinon une telle passion qu’elle congédia les autres galans et qu’elle se maria avec lui. Ce fait est contesté par beaucoup de gens dans le pays, mais je n’en saurais douter, attendu que j’ai été témoin du mariage.

Il y avait alors dans les environs un vieux prêtre qui n’avait voulu ni prêter serment, ni émigrer, encore moins se laisser guillotiner à Auch ou déporter à Cayenne. Pendant les plus mauvais jours de la révolution, il s’était tenu caché dans les cantons perdus de l’Armagnac. Il baptisait, mariait, enterrait, confessait, et ne manquait