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l’histoire, et, des progrès qui avortent, il reste toujours quelque chose d’acquis.

— Alors vous seriez véritablement pour le roi contre le sénat ?

— Oui, certes !

— Vous voyez donc bien que votre pensée n’est pas de fuir la tempête, mais de la chercher. Allons, c’est l’instinct de la jeunesse et la fatalité de l’intelligence ! Moi, je dirai amen à tout ce qui nous affranchira de la Russie et de l’Angleterre… Mais comment diable siégerez-vous aux états, si vous ne voulez pas reconnaître la religion du pays ?… Ne dites rien, vous verrez plus tard ce que vous dictera votre conscience, et ce que vous imposeront vos devoirs de père et de citoyen.

— Mes devoirs de père ! s’écria Christian. Ah ! monsieur Goefle, mon bonheur est là, je le sens ! Mon Dieu ! comme je les aimerai, les enfans que me donnera cette brave et loyale créature, qui leur transmettra le désintéressement et la franchise avec la grâce et la beauté !

— Oui, oui, Christian, vous serez heureux par la famille. Cela vous est dû pour les soins que vous avez donnés à la pauvre Sofia Goffredi ! Vous vivrez à la manière suédoise, dans vos terres, au sein du bien-être, en face de la grande et rude nature du Nord ! Vous ferez des heureux de tous ceux dont votre prédécesseur avait fait des misérables. Vous cultiverez la science et les beaux-arts. Vous élèverez vos enfans vous-même. Ces coquins-là seront entourés, en naissant, d’amour et de soins ; ils grandiront avec les enfans d’Osmund et d’Osburn. Moi, je travaillerai le plus longtemps possible, parce que je deviendrais trop bavard et trop nerveux, si je ne plaidais pas ; mais tous les ans je viendrai passer avec vous les vacances. Nous gâterons à l’envi l’un de l’autre le vieux Sten et la pauvre Karine ; nous ferons en politique des châteaux en Espagne : nous rêverons l’alliance sans nuages avec la France et la résistance à l’ambition russe au moyen de l’union Scandinave. Puis le soir nous exhumerons les burattini, et nous donnerons à toute la chère marmaille rassemblée au château des représentations où je prétends devenir l’égal du fameux Christian Waldo, de joyeuse et douce mémoire.

George Sand.