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sur place, très bon marché, à ceux qui ont le génie du trafic, et en risquant pour ce fait de me faire assommer par mes confrères, qui ont renoncé pourtant à cette velléité en voyant que j’avais le bras leste et la main lourde.

« Enfin je pars pour Bergen, où il faut que j’arrive avant le dégel, si je ne veux être enfermé ici pendant six semaines par des tourmentes et des avalanches qu’il n’est pas au pouvoir de l’homme de surmonter.

« Ne vous désolez pas, ô le meilleur des hommes et des amis, si je perds mon procès. Je viendrai à bout d’être quelque chose, et, puisque Marguerite est pauvre, du moment que je suis bien né, je pourrai encore prétendre à elle. Et puis n’ai-je pas votre amitié ? Je ne demande au ciel que d’être à même de soigner les vieux jours de mon cher Stenson, s’il perd sa place et son asile au château de Waldemora. »

M. Goefle reçut plusieurs autres lettres du même genre durant l’été et l’hiver suivans. Le procès n’avançait pas, bien qu’il n’y eût pas de procès proprement dit, les présomptueux faisant une guerre sourde bien plus funeste et apportant d’insaisissables obstacles à la décision du comité.

Christian commençait cependant à être rassasié de hasards, de fatigues et de durs travaux. Il n’en avouait rien à son ami, mais l’exubérance de sa curiosité était apaisée. Les besoins du cœur, éveillés par des espérances peut-être trompeuses, réclamaient souvent le bonheur entrevu. La vie terrible, comme il l’appelait, ne dépassait pas l’héroïsme de ses résolutions et l’énergie enjouée de son caractère ; mais l’âme souffrait bien souvent en silence, et le moment était venu où, selon les expressions du major Larrson, l’oiseau, fatigué de traverser l’espace, s’inquiétait de trouver un ciel doux et un lieu sûr pour bâtir son nid.

La misère visita plusieurs fois Christian en dépit de son intelligence et de son activité. La vie du voyageur est un enchaînement de trouvailles et de pertes, de succès inespérés et de désastres désespérans. Il gagna de quoi vivre au jour le jour, en trafiquant de sa chasse, de sa pêche, et d’un échange de denrées transportées à de grandes distances avec un courage et une résolution incroyables ; mais, facile, confiant et généreux, le jeune baron n’était pas né commerçant, et son incognito ne pouvait déguiser l’aristocratique libéralité de son caractère.

Et puis le chapitre des accidens fit souvent échouer ses plus sages prévisions, et un jour il fut réduit à réaliser le rêve d’héroïque désespérance dont il avait entretenu le major sur la montagne de Blaackdal, c’est-à-dire qu’il dut, comme Gustave Wasa, travailler