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frances de sa captivité et la constante et inaltérable lucidité de son esprit, en dépit des bruits calomnieusement répandus sur son prétendu état d’aliénation et de fureur. « Mon âme est calme, disait-elle, aux approches de la mort. Je m’en vais, pleine de résignation, d’espoir et de confiance, dans un monde meilleur. Je pardonne à mes bourreaux. Je n’emporte qu’un regret de cette triste vie, celui d’abandonner mon fils ; mais le succès inespéré de son évasion m’a appris à compter sur la Providence et sur la sainte amitié de ceux qui l’ont déjà sauvé. »

La signature était ferme et large, comme si un dernier effort de la vie eût réchauffé le cœur de la pauvre mourante à cette heure suprême. La date portait : « Aujourd’hui 15 décembre 1746. »

À la date du 28 décembre de la même année, Stenson avait dressé une sorte de procès-verbal des derniers momens et de la mort de son infortunée maîtresse. « On l’a privée de sommeil jusqu’à sa dernière heure, disait-il, Johan et sa séquelle, installés dans la chambre voisine, jurant, criant et blasphémant jour et nuit à ses oreilles, et M. le baron, son beau-frère, venant chaque jour, sous prétexte de voir si elle était bien traitée, lui dire qu’elle était folle et l’accabler de reproches outrageans sur la prétendue ruse qu’il avait fait échouer. Toute la ruse, et Dieu l’a protégée ! fut d’amener ce persécuteur, à force de patience et de silence, à croire qu’en effet madame s’était trompée sur son état, et qu’il n’avait rien à craindre de l’avenir.

« De son côté, le pasteur Mickelson, non moins cruel et non moins importun, vint jusqu’au pied du lit de mort de madame lui dire qu’ayant vécu dans les pays du papisme, elle était imbue de mauvaises doctrines, et il la menaça cent fois de l’enfer, au lieu de lui donner les consolations et les espérances auxquelles a droit toute âme chrétienne.

« Enfin il est sorti une heure avant qu’elle ne rendît le dernier soupir, et elle a expiré dans nos bras, le quatrième jour de Noël, à quatre heures du matin, en disant ces paroles : « Mon Dieu ! rendez une mère à mon fils ! »

« Nous attestons qu’elle est morte comme une sainte, sans avoir eu un seul instant de colère, de délire, ou seulement de doute religieux.

« Après lui avoir fermé les yeux, nous avons arrêté la pendule et soufflé la bougie de Noël qui brûlait dans le lustre, en demandant à Dieu qu’il nous permît de voir pousser cette aiguille et rallumer cette flamme par la main de notre futur jeune maître.

« Après quoi, nous avons rédigé cet écrit, que nous allons cacher et sceller, avec celui de notre dame bien-aimée, dans le mur de sa