Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/261

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pied de la Biche et du Milan, et il me confia le soin de prendre les embarcations de ces deux bâtimens à la remorque. Je dus les conduire aussi près de terre que la sûreté du brick pouvait le permettre. Je ne vis pas sans inquiétude nos canots, lorsqu’ils eurent quitté le Milan, s’écarter de la direction que je leur avais indiquée. Au lieu de gouverner sur le monastère même, ils allèrent opérer leur descente à trois quarts de lieue plus au sud. Nos marins enfonçaient à chaque pas dans un sable mouvant; ils furent bientôt épuisés de fatigue. Deux petites rivières, qu’ils durent traverser à gué, mirent la plupart de leurs armes hors de service. Malgré les recommandations et les avis des officiers, les matelots, peu habitués à ce genre d’expédition, se servaient de leur fusil comme d’un bâton pour se soutenir contre le courant. Une petite avant-garde d’une dizaine d’hommes que commandait un des officiers du Milan, l’aspirant de première classe Michon, se trouvait seule en état de faire face à l’ennemi. Ce peloton d’élite avait pris les devants. Il rencontra trois moines montés sur de superbes chevaux. Nos gens les invitèrent en mauvais espagnol à s’approcher; les moines, comme on pense, se gardèrent bien d’en rien faire : ils tournèrent bride aussitôt et s’éloignèrent de toute la vitesse de leurs montures. On fit feu sur eux et l’on se mit à leur poursuite, mais on les eut bientôt perdus de vue. On ne put ramasser que l’énorme chapeau qu’un des frayles avait laissé tomber dans sa fuite. Quelques minutes plus tard, on faisait prisonnier le sacristain du couvent.

Ces coups de fusil tirés par l’avant-garde eurent de tristes conséquences. Ils jetèrent l’épouvante dans la colonne qui marchait sans ordre en arrière. Ce fut à qui s’enfuirait le plus vite vers les embarcations. L’avant-garde cependant était arrivée au pied du monastère. De la hauteur qu’il venait de gravir, Michon aperçut la honteuse déroute de nos gens. Ainsi abandonné, il ne lui restait plus d’autre parti à prendre que de battre en retraite. Quelques Portugais s’étaient embusqués dans les broussailles. Ils ne cessèrent de harceler notre petite avant-garde, pendant qu’elle revenait sur ses pas. Trois de nos hommes furent blessés. Un d’eux avait eu la cuisse cassée d’un coup de feu; il fut massacré par les Portugais. Michon, avec un dévouement héroïque, l’avait soutenu jusqu’au dernier instant. Il ne l’abandonna que lorsque le blessé lui-même, se voyant perdu, se fut laissé glisser à terre et l’eut supplié de songer à sa propre sûreté.

Le nombre des ennemis était peu considérable, mais la peur avait fait de ces tirailleurs une armée. Lorsque notre avant-garde eut rejoint la colonne qui l’avait si lâchement compromise, les officiers s’étaient réfugiés à bord des chaloupes, sous prétexte de diriger le