— Avouez, dit le major, que vous n’avez pas fait beaucoup d’efforts pour le deviner.
— Si fait ; mais je vois ici tous ceux des hôtes du château que je crois capables des plus hautes prouesses, et vous dites que votre héros n’est point parmi nous ?
— Vous avez oublié quelqu’un qui était du moins au château hier soir, reprit le lieutenant.
— J’ai beau chercher, répondit Olga, j’y renonce, et à moins que ce ne soit le masque noir, l’homme mystérieux, le bouffon lettré, Christian Waldo !…
— Eh bien ! pourquoi ne serait-ce pas lui ? dit le major en regardant à la dérobée Marguerite, qui avait beaucoup rougi.
— Est-ce lui ? s’écria-t-elle avec une vivacité candide.
— Eh ! mon Dieu ! lui dit la jeune Russe avec plus de brutalité que de malice, car ce n’était point une méchante personne, on dirait, ma chère enfant, que cela vous intéresse beaucoup…
— Vous savez bien, répondit avec à-propos la bonne Potin, que la comtesse Marguerite a peur de Christian Waldo.
— Peur ? dit le major avec surprise.
— Eh ! mais sans doute, reprit la gouvernante, et j’avoue que je suis un peu dans le même cas ; un masque me fait toujours peur.
— Mais vous n’avez pas même vu le masque de Christian.
— Raison de plus, répondit-elle en riant. On n’a réellement peur que de ce que l’on n’a jamais vu. Tous les récits que l’on fait sur ce spirituel comédien sont si étranges… Et la tête de mort qu’on lui attribue ! croyez-vous qu’il n’y ait pas là de quoi rêver la nuit et trembler quand on entend son nom ?
— Eh bien ! dit le major, ne tremblez plus, mesdames ; nous avons vu toute la journée la figure de Christian Waldo, et quoi qu’en ait dit hier soir M. le baron, sa prétendue tête de mort est la tête du jeune Antinoüs. N’est-il pas vrai, lieutenant, que c’est le plus beau jeune homme qu’on puisse imaginer ?
— Aussi beau qu’il est aimable, instruit et brave, répondit le lieutenant. Et le caporal Duff, qui se tenait dehors, la pipe à la bouche, écoutant la conversation, éleva la voix, comme malgré lui, pour vanter la cordialité, la noblesse et la modestie de Christian Waldo.
Marguerite ne fit ni questions, ni réflexions ; mais, tout occupée qu’elle semblait être d’agrafer sa pelisse, car on s’était levé pour partir, elle ne perdit pas un mot des éloges décernés à son ami de la veille.
— D’où vient donc, dit Olga, qui s’apprêtait à la suivre, qu’un homme instruit et distingué fasse un métier, je ne veux pas dire