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Sur ces entrefaites, je m’étais emparé du navire que j’avais eu la mission de chasser. Ce bâtiment avait arboré les couleurs danoises, et prétendait ne pas être en guerre avec nous. Ne voulant pas me charger de décider cette question, je le pris à la remorque et le conduisis au commandant de la division. Ce dernier jugea convenable d’admettre ses réclamations, et me prescrivit de le relâcher. Ce n’était pas malheureusement le compte de nos équipages, fort étonnés qu’un navire non français ne fût pas de bonne prise. Des murmures séditieux se firent entendre; le commandant fut accusé de s’être laissé séduire dans un entretien qui n’avait eu aucun de nous pour témoin, et il fallut toute l’énergie de quelques officiers pour apaiser ce commencement de sédition.

Ce serait une grande erreur de croire que de pareilles déprédations exercées en haute mer aguerrissent les équipages. Rien ne peut au contraire avoir sur leur moral une plus fâcheuse influence. Les habitudes de pillage qu’ils contractent, le butin qu’ils s’occupent d’amasser, le soin d’éviter la rencontre des bâtimens de guerre et de ne rechercher que celle des bâtimens de commerce, les disposent mal à des luttes honorables. Tout corsaire devient à la longue, et dans une certaine mesure, un pirate. Or rien ne se bat moins bien qu’un forban.

Le bâtiment visité par l’Espoir était américain; il fut relâché, comme l’avait été le bâtiment danois. Deux jours après, nous nous emparâmes d’un autre navire portugais, auquel on mit encore le feu. La cargaison de ce bâtiment se composait de caisses de pâte de goyave et de fruits confits du Brésil. Cette nouvelle capture vint mettre le comble à l’abondance dont nous jouissions depuis notre passage devant Terceire. La guerre maritime, même quand on la fait dans les pires conditions, a, comme on le voit, ses bons jours.

Les vents continuaient de nous favoriser. Nous eûmes bientôt dépassé les parages que parcourent les navires qui se rendent du Brésil en Europe. Le commandant de la division voulut alors hâter son arrivée au point de croisière que lui indiquaient ses instructions. Il prit le sage parti de se séparer du brick l’Espoir, dont la marche inférieure nous faisait perdre un temps précieux. Au bout d’une quinzaine de jours, nous eûmes connaissance de la côte du Brésil. Le commandant de la Biche me fit signal de m’approcher de terre. Je forçai de voiles, et j’aperçus bientôt, à peu de distance des brisans, une goélette qui faisait tous ses efforts pour m’échapper. Je la poursuivis, et je m’en emparai avant qu’elle pût se jeter à la côte. Dès que je l’eus conduite au commandant Raimbaud, celui-ci la fit hâler le long de la Biche. La curée commença sans qu’on songeât le moins du monde à l’équipage du Milan, qui avait bien quelques