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signy sur un intérêt politique aussi important pour le présent et l’avenir de la France que la question de nos rapports avec l’Angleterre, pour nous arrêter longtemps aux points de son discours sur lesquels il nous est impossible de partager son avis. M. de Persigny par exemple ne nous croit pas mûrs encore pour la pratique de ceux des principes de 1789 qui devaient initier la France à la liberté politique. Nous sommes loin de confondre M. de Persigny avec les vulgaires ennemis que la liberté rencontre aujourd’hui sur son chemin. C’est un singulier troupeau que celui de nos absolutistes. Il se compose de gens qui ont perdu notre régime libéral par la stupide inertie qu’ils adoraient sous le nom de politique conservatrice et d’hommes qui ont immoralement abusé autrefois de la liberté et l’ont trahie par leurs excès. Quand ces gens-là nous signifient que nous sommes impropres à la liberté, nous haussons les épaules en gémissant sur la condition de tant d’hommes éclairés, modérés, honnêtes, qui ont toujours respecté les lois en poursuivant les progrès possibles, sur l’avenir de ces jeunes générations innocentes des fautes qui ont précédé ou suivi 1848, sur cette partie vivace de la nation qui est obligée non-seulement d’expier le crime des autres, mais de recevoir de la main même des vrais coupables la discipline que ceux-ci ont seuls méritée. Nous sommes donc loin de nous résigner aux ajournemens que nous signifie M. de Persigny. Plus on retardera la réalisation des libertés politiques, et moins nous serons préparés à faire de la liberté un usage prudent et honnête le jour où elle nous sera rendue. Les anciennes divisions de partis qu’allègue M. de Persigny ne sont point un argument suffisant contre le réveil de la vie publique. Il nous semble qu’un gouvernement puissant n’a jamais à redouter l’hostilité systématique des partis, et que la démonstration la plus complète qu’un gouvernement ait à donner de sa puissance, c’est d’affronter librement et au grand jour cette hostilité. Y a-t-il d’ailleurs un seul pouvoir en France depuis soixante-dix ans qui ait été renversé par ses ennemis? Les pouvoirs qui sont tombés se sont toujours précipités eux-mêmes, et toujours, suivant le mot d’un homme d’état qui en a fait la cruelle expérience, du côté où ils penchaient. Toujours, qu’on le remarque, ces pouvoirs ont marché à leur ruine sous l’obsession d’une préoccupation obstinée, la crainte de commettre les fautes qui avaient perdu leurs prédécesseurs. Ainsi Louis XVI avait dans son cabinet le portrait de Charles Ier; frappé, pendant les angoisses de la révolution, de l’échafaud du malheureux Stuart se dressant au bout de la guerre civile, il avait résolu de ne jamais recourir à cet expédient fatal que lui conseillait pourtant dans ses vigoureux mémoires Mirabeau mourant. Nous ne parlerons pas de Napoléon, que l’horreur de l’anarchie, autant que l’élan impérieux de son intelligence et de son caractère, poussa dans l’isolement vertigineux de l’autocratie, et dont la catastrophe fut un véritable suicide. Charles X croyait que les concessions et les faiblesses avaient perdu Louis XVI; il retira la charte, et succomba. Louis-Philippe se croyait amnistié par la fortune, s’il évitait les fautes de Napoléon et de Charles X : il pensait s’abriter contre les révolutions en maintenant la paix et eu observant scrupuleusement la charte, et sa vieillesse se sentit défaillir devant une manifestation douteuse de la garde nationale. Il est de mode aujourd’hui d’attribuer la chute du roi Louis-Philippe au jeu des