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Tandis que les oiseaux fuyaient dans la ramée
En jetant, les pauvrets, un long cri de chagrin,
Indifférent et calme, et sifflant un refrain,
Il bourra lentement sa pipe bien-aimée,
Et, regardant au ciel s’en aller la fumée.
Il s’assit sur un banc, vers le seuil du jardin.
La nuit tombait, le vent agitait les feuillées,
L’odeur des foins montait vers les cieux étoiles.
Les vers luisans brillaient dans les herbes mouillées,
Et les cailles au loin gazouillaient dans les blés.
Mais Maurice était là, sans voir et sans entendre,
Et, l’esprit absorbé par un obscur dessein.
Il calculait tout bas combien il pourrait vendre
La maison de son père et l’antique jardin,
Pour retourner plus vite à son pays latin.
Dans le même moment, Éveline, joyeuse.
Songeait dans sa cellule aux bonheurs du retour.
Et la brise du soir et la nuit radieuse
L’enivraient de parfums et lui parlaient d’amour.


V.


Les semaines passaient; dans sa chambre ignorée,
Jean-Maurice restait enfermé jour et nuit.
Sa voisine, inquiète et d’ennui dévorée,
Sentait son cœur troublé bondir au moindre bruit
Que faisait en tournant la porte délabrée.
Et, du matin au soir assise, elle cousait,
Et, tout en travaillant, la pauvrette chantait…

Sa fraîche voix d’argent volait pure et légère
Jusqu’à Jean, à travers les halliers du jardin.
Mais la comprenait-il ? lui, qui ne savait guère
Que les folles chansons du vieux quartier latin,
Lui, dont les passions duraient un soir d’ivresse,
Lui, qui doutait du ciel et de son propre cœur
Et qui ne demandait jamais à sa maîtresse
Qu’un bras souple et nerveux et deux lèvres en fleur !…


VI.


Octobre était venu. La rue inanimée
Ne retentissait plus des chants de l’atelier ;
Silencieux était le toit du tonnelier.
Et la brune Éveline, à la vitre fermée,
Où le vent effeuillait les fleurs de son rosier,