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l’endroit est bien dangereux, et je vous avais dit de ne pas bouger pendant que j’irais allumer ma lanterne au moulin qui est par là. Vous ne m’avez donc pas entendu ?

— Nullement ; mais vous, n’avez-vous pas entendu chanter ?

— Oui, mais je n’ai pas voulu écouter. On entend souvent des voix au bord du lac, et il n’est pas bon de comprendre ce qu’elles chantent, car alors elles vous emmènent dans des endroits d’où l’on ne revient jamais.

— Eh bien ! moi, j’ai écouté, dit Christian, et j’ai reconnu la voix de votre tante Karine. Elle doit être par ici. Cherchons-la, puisque vous avez de la lumière, ou appelez-la, elle vous répondra peut-être.

— Non, non, s’écria l’enfant, laissons-la tranquille. Si elle est dans son rêve, et que nous venions à la réveiller, elle se tuera !

— Mais elle risque également de se tuer en courant ainsi au bord de ce ravin qu’on ne voit pas !

— Ce que nous ne voyons pas, elle le voit, soyez en paix, à moins que vous ne vouliez lui porter malheur et l’empêcher de rentrer à la maison, où je suis bien sûr qu’elle sera de retour avant moi, comme à l’ordinaire.

Christian dut renoncer à chercher la voyante, d’autant plus que la clarté de la lanterne perçait si peu le brouillard, qu’à peine servait-elle à voir où l’on posait les pieds. Il aida Olof à descendre le traîneau avec précaution jusqu’au bord du lac, et là l’enfant, qui se dirigeait fort habilement au juger, lui demanda s’il voulait remonter en traîneau pour aller au bostœlle du major.

— Non, non, lui dit Christian, c’est au Stollborg que je dois aller. N’est-ce pas à droite qu’il faut prendre ?

— Non, répondit Olof, tâchez de marcher droit devant vous en comptant trois cents pas. Si vous en faites deux de plus sans trouver le rocher, c’est que vous vous serez trompé.

— Et alors que faudra-t-il faire ?

— Regarder de quel côté marchent les bouffées du brouillard. Le vent est du midi, et il fait presque chaud. Si le brouillard passe à votre gauche, il faudra marcher sur votre droite. Au reste, il n’y a pas de danger sur le lac, la glace est bonne partout.

— Mais vous, mon enfant, vous tirerez-vous d’affaire tout seul ?

— Pour aller au bostœlle ? j’en réponds. Le cheval reconnaît son chemin à présent, et vous voyez qu’il s’impatiente.

— Mais vous ne retournerez pas ce soir chez votre père ?

— Si fait ! le brouillard ne tiendra peut-être pas, et d’ailleurs la lune se lèvera, et comme elle est pleine, on verra à se conduire.

Christian donna une poignée de main avec un daler au jeune danneman, et, se conformant à ses instructions, il arriva au Stollborg sans faire fausse route et sans rencontrer personne.